Adrien Bosc
Ecrivain et éditeur
Automne 2022
- Littérature
- Sciences humaines et sociales
- New York
« Je cherche à faire émerger la contradiction, la discussion, à offrir des voies nouvelles en confrontant les auteurs français à leurs cousins américains (…) Un chemin de questionnement passionnant plutôt que la perspective d’une prétendue réponse. »
Fin septembre, les éditions du sous-sol fêtent leurs dix ans. Une maison fondée d’abord dans l’idée de traduire ce genre appelé narrative nonfiction, que ce soit à travers la publication de la revue Feuilleton ou la traduction d’œuvres d’écrivains-reporters tels que David Grann, William Finnegan, David Samuels, Susan Orlean, Ted Conover, et de leurs devanciers Nellie Bly, Jane Kramer, Gay Talese, Janet Flanner, Joseph Mitchell.
Les éditions du sous-sol ont toujours fait la part belle à une littérature inventive et hybride qui s’aventure hors des sentiers battus pour explorer, reconfigurer et questionner l’articulation entre réel et fiction. Si un brouillage des frontières est perceptible dans la création romanesque comme dans les sciences sociales, celui-ci ne présage en rien de leur disparition. Quand l’écrivain investit le réel, nulle question pour lui d’apposer une nouvelle forme de fiction, même s’il ne renonce pas à l’art de raconter ; parfois pour mieux en souligner la nécessité, en explorer les rouages, pour mieux les subvertir et les réinventer. Et là est toute la question au centre de cette littérature qui confronte sa part de subjectivité et d’invention à un matériau rétif à se plier aux desseins du raconteur d’histoires. Aller voir, entendre, confronter le narrateur au monde et laisser le fil des événements dicter, contredire, changer le récit.
Après dix années à m’interroger à travers les publications du sous-sol sur cette frontière – publiant les pionniers et contemporains du genre – questionnant ma propre démarche d’écriture au moyen d’une trilogie à rebours de l’histoire d’un roman-vrai (Constellation 2014, Capitaine 2018, Colonne janvier 2022), j’étais désireux d’aller plus loin en confrontant le récit français à son parent américain.
Né à Avignon en 1986, Adrien Bosc est auteur et éditeur. Son premier roman Constellation (Stock, 2014) a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française et a été traduit dans plus de dix pays. Il publie Capitaine en 2018 (traduit sous le titre Outrageous Horizon au Royaume-Uni), et Colonne prévu en janvier 2022. Il est par ailleurs le fondateur des éditions du sous-sol.
Dans le rapport de l’écrivain et du narrateur à la véracité des faits et à l’impact sur ses personnages persiste une gêne, une difficulté à tenir une position, un rapport au réel qui ne soit ni vorace ni mensonger. La meilleure définition vient d’un des classiques du genre, Le Journaliste et l’Assassin, qu’Emmanuel Carrère reprend à son compte. Pour différencier l’écriture de fiction de la prose de non-fiction, Janet Malcom procède à une comparaison simple. Le romancier bâtit sa propre maison, elle lui appartient, il peut en détruire les murs, réagencer les pièces, ou même l’abattre ; à l’inverse, l’écrivain de non-fiction est en un sens locataire, la maison dans laquelle il vit n’est pas sienne, et s’il souhaite récupérer sa caution (morale dirions-nous), il doit rendre les murs en l’état. Cette division ne l’est qu’en apparence, tant l’histoire de ce genre démontre plutôt une liste de transgressions, de passages d’un état à l’autre. Si la narrative nonfiction à l’américaine se définit par un souci d’exactitude, usant des fact-checkers et désignant son rôle par la négative, « non-fiction » ; le récit français se vante de son écart avec le réel, de sa licence ou passe-droit littéraire. Ce roman-récit change d’habits d’un pays à l’autre : roman par chez nous, non-fiction outre-Atlantique. Un trouble assez commun aux débuts du reportage, lorsque Joseph Mitchell introduisait la fiction au cœur du réel : portraits composites, fantaisies descriptives, discours indirect libre, etc. démarche plus proche des écarts poétiques d’un Blaise Cendrars que de la rectitude et du devoir du journalisme.
Par une série d’entretiens, je cherche à faire émerger la contradiction, la discussion, à offrir des voies nouvelles en confrontant les auteurs français à leurs cousins américains. La ligne de recherche la plus claire se situe sans doute dans ce rapport du narrateur à son objet, dans la confiance avec ses interlocuteurs, l’honnêteté de sa démarche, la retranscription fidèle des faits. Cette question se pose à quiconque s’empare par la plume de la vie d’autrui. Un chemin de questionnement passionnant plutôt que la perspective d’une prétendue réponse, bien illusoire. Chaque écrivain, reporter, y va de sa définition, de sa façon de tenir sur ce fil entre faits et fictions. Dans l’écoute de ces diverses expériences, toujours bricolées, modestes, et constamment en mouvement se construit peut-être une réflexion sur ce genre littéraire : creuser et interroger cette « position de faiblesse de l’écrivain qui s’abandonne à une réalité touffue, changeante, aux enjeux mal identifiés » selon Philippe Vasset.
Ces entretiens auront lieu à la fois à New York, par exemple au sein de la librairie Albertine, et en France, dans le cadre du partenariat avec la Villa Gillet et son festival Mode d’emploi.
Ces échanges pourraient faire l’objet d’une publication sur le modèle du livre de conversations de Robert S. Boynton Le Temps du reportage, ainsi qu’un podcast.
En partenariat avec
Villa Gillet
La Villa Gillet est une maison européenne et internationale des écritures contemporaines. Lieu de rencontre, de création et de diffusion, elle donne la parole aux écrivains, aux penseurs et aux artistes, pour faire de la littérature, des sciences humaines, de la philosophie, et des arts vivants, un langage commun. Laboratoire de réflexion sur les pratiques liées au livre, à l’écrit, à la parole et au débat, la Villa Gillet propose des événements dans le domaine de la littérature et du débat d’idées toute l’année et lors de ses deux festivals : le festival international de littérature de Lyon (“Les Assises internationales du roman” de 2007 à 2020 puis “Littérature Live” en 2021), chaque année au mois de mai et “Mode d’emploi, un festival des idées” au mois de novembre.