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Portrait : Camille Trouvé

Arts de la scène

VINCENT MUTEAU

Portrait : Camille Trouvé présente un célèbre « escroc littéraire » dans R.A.G.E.

En novembre 2015, R.A.G.E., le 7e spectacle de la Compagnie Les Anges au plafond, a été présenté en avant-première à Equinoxe à Châteauroux, en France. Pour cette pièce, deuxième d’un diptyque centré sur le thème de la censure, c’est au tour de Camille Trouvé de mettre en scène Brice Berthoud dans un personnage bien connu du XXe siècle. L’histoire qui se déroule se situe à la croisée de l’escroquerie et de l’authenticité. Après avoir été joué sur différentes scènes nationales, R.A.G.E. sera accueilli par le Chicago International Puppet Festival aux États-Unis, avec le soutien d’une bourse du programme FACE Contemporary Theater.  

Les Anges au Plafond : Des récits mythiques aux personnages contemporains  

Sur le site web des Anges au plafond, leur travail est décrit comme étant axé « sur l’endroit précis où l’intime et le politique se croisent ». Mais comment et pourquoi cette équipe de marionnettistes veut-elle aborder ce sujet au XXIe siècle ?  

Avec leurs performances, Antigone de papier (2007) et Au Fil d’Œdipe (2009), qui font partie d’une série intitulée « La Tragédie des Anges », les artistes interrogent les mythes antiques d’Antigone et d’Œdipe, et leur rapport avec la question de la liberté d’expression. Cette création artistique a inspiré Camille Trouvé et Brice Berthoud pour réfléchir à ces thèmes à travers des personnages contemporains. Le « Cycle de la Censure » se compose de Les Mains de Camille (2012) et de R.A.G.E. (2015) qui mettent respectivement en scène Camille Claudel et une célèbre romancière du XXe siècle dont les initiales forment le titre du spectacle (à vous de trouver de qui il s’agit !). À travers ces deux personnages, les marionnettistes racontent le combat de Camille Claudel contre la censure bourgeoise au XIXe siècle et discutent avec R.A.G.E. de l’impact de l’autocensure du XXe siècle. A travers ces récits tragiques et poétiques, Camille Trouvé et Brice Berthoud révèlent également un aspect important de la société actuelle : la menace constante qui pèse sur notre liberté d’expression. Si la censure du XXe siècle est plus discrète que par le passé, elle n’en reste pas moins très présente dans notre société moderne.   

R.A.G.E. : un personnage complexe en quête d’authenticité    

R.A.G.E. est l’histoire d’un célèbre romancier, né dans l’Empire russe au début de la Première Guerre mondiale, qui s’est réfugié en France et est devenu la seule personne à avoir remporté deux fois le Prix Goncourt, sous deux noms différents. C’est aussi l’histoire d’une mère qui a voulu que son fils accomplisse un destin extraordinaire d’écrivain, de diplomate et de héros. Dans R.A.G.E., nous voyons comment l’amour maternel façonne le personnage principal, et nous observons comment il apprend à multiplier son identité et à voyager entre fiction et réalité.   

R.A.G.E. décrit comment ce personnage historique a évité la censure en mentant. Dans l’histoire, il s’invente et se réincarne, découvrant le véritable pouvoir des pseudonymes et créant de nouveaux chefs-d’œuvre de la main de son alter ego. Le goût du personnage principal pour le mensonge, la manipulation et le subterfuge est délicatement mis en scène par Camille Trouvé, qui révèle le paradoxe déroutant du mensonge en quête de vérité.  

« J’en avais assez d’être seulement moi-même. (…) Recommencer, revivre, être un autre était la grande tentation de mon existence (…). La vérité est que j’ai été très profondément touché par la plus ancienne tentation de l’homme : celle de la multiplicité (…) J’ai toujours été un autre. … » dit le romancier mis en scène dans R.A.G.E. (1981)  

Ce paradoxe, et l’ambiguïté entre fiction et réalité – entre le visible et l’invisible – sont présentés par la metteuse en scène Camille Trouvé comme représentatifs du désir du personnage de se libérer des stigmates qui limitent sa créativité. L’alter ego libérateur que l’écrivain adopte devient son nouveau « moi » et, dans la multiplicité des identités, il se perd dans son propre jeu.   

Scénographie et mise en scène : Jusqu’où va l’illusion ?   

Six interprètes (Brice Berthoud, Jonas Coutancier, Yvan Bernardet, Xavier Drouault, Piero Pépin et Noëmi Waysfed) donnent vie à quinze marionnettes de papier. Alors que le bruiteur Xavier Drouault éveille notre imaginaire, que le trompettiste Piero Pépin porte les émotions de la pièce et que la chanteuse Héléna Maniakis recrée l’univers de l’écrivain, les marionnettistes offrent au public une expérience magique et dramatique. La manipulation et l’illusion sont les essences mêmes du spectacle : le protagoniste joue avec le mensonge et la tromperie tandis que Camille Trouvé et Brice Berthoud tentent de manipuler notre regard à travers leur scénographie. 

« Sur cette émission, nous voulions une multitude de points de vue possibles.  (…) On s’est dit : la base sera deux publics qui ne font qu’un, deux personnages qui ne font aussi qu’un, et on va jouer avec ces points de vue sur l’histoire ». Selon l’endroit où vous êtes placé dans la salle ou même sur la scène, vous ne verrez pas le même spectacle. On entend parfois une partie du public rire et pas l’autre, et c’est bien là l’âme de R.A.G.E. : peut-on se méfier des vérités absolues ? » Camille Trouvé dans un entretien avec Laura Lalande en 2015.  

Le rapport entre la scène et la salle, le jeu des lumières, les chansons en différentes langues, la texture des textes et la riche diversité des arts utilisés dans le spectacle créent une atmosphère captivante qui nous entraîne au cœur d’une réflexion intime et nous immerge dans la vie du plus grand escroc littéraire du XXe siècle.   

À propos de Camille Trouvé   

Après une formation en marionnettes à l’école nationale de Glasgow, Camille rentre en France, où elle rencontre des metteurs en scène tels que Wajdi Mouawad, François Cervantès, Catherine Germain, et Laurent Fréchuret. Elle se forme également à l’Institut international de la marionnette de Charleville-Mézières auprès de la compagnie anglaise Green Ginger. Constructrice d’objets articulés insolites, marionnettiste et comédienne, Camille Trouvé poursuit ses explorations créatives. Au cours de ses différentes productions, elle a créé un univers visuel original et décalé, souvent réalisé en collaboration avec des collègues comme le marionnettiste et maître des ombres et lumières italien Fabrizio Montechi. Elle a également joué en tant que marionnettiste dans Le Cri QuotidienUne Antigone de papierLes Mains de Camille et Du Rêve que fut ma vie et mis en scène Les Nuits polaires, Au Fil d’ŒdipeR.A.G.E. et White Dog.  

À propos de Les Anges au plafond  

Les Anges au Plafond est une rencontre entre deux esprits, initiée en 2000 par les comédiens et marionnettistes, Camille Trouvé et Brice Berthoud. Ils ont développé leur langage artistique autour de trois axes principaux : le souffle épique, l’espace en question, la manipulation révélée ou dissimulée. Leurs spectacles explorent la relation complexe entre le marionnettiste et la marionnette. Cherchant à raconter des histoires de vie à la fois intimes et spectaculaires, Camille Trouvé et Brice Berthoud nous transportent dans les univers de protagonistes hors du commun. Ce faisant, ils se concentrent sur l’endroit précis où l’intime et le politique se croisent. À titre d’exemple, leur dernière création intitulée Le Nécessaire Déséquilibre des Choses explore la fragilité, la vulnérabilité et le chaos émotionnel de l’être humain tout en s’interrogeant sur l’origine du monde. Cette fois, les Anges au Plafond se détachent peu à peu des figures mythologiques pour prendre forme humaine et débattre de la notion de désir et du sens de la vie. Basée sur le texte de Roland Barthes Fragments d’un discours amoureux (1977), cette pièce pleine de poésie et de philosophie sera créée le 3 novembre 2020 à la Maison de la Culture de Bourges. 

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