Jay Pather
Chorégraphe | Programmateur (spectacle vivant)
Sept-October 2022 | March 2023
- Arts de la scène
- New York
- Washington, DC
« Je m’intéresse aux tentatives du corps à conserver son équilibre face au chaos endémique, aux courants profondément intimes qui font remonter les désirs, défiant autant qu’ils confrontent les absurdités. »
J’ai grandi en Afrique du Sud durant l’apartheid, ce qui m’a donné, dès le plus jeune âge, une perception viscérale de la ségrégation et de ses ravages sur mes communautés. Le colonialisme prolongé ainsi que les distinctions raciales et sociales fondées sur la couleur de la peau ont eu une influence directe sur les prémices de mon art. La politique et l’activisme ont entravé la création elle-même, et la fin de l’apartheid, en 1994, n’a rien changé. Depuis lors, j’ai toujours à cœur de prendre en compte le contexte et l’affect qui entourent mon travail. Ma principale source d’inspiration, c’est l’attention à la négligence que l’on manifeste à l’égard de communautés entières. Mes chorégraphies, ma programmation, mon enseignement et les plateformes que je mets en place pour que de jeunes artistes puissent créer de nouvelles œuvres s’inscrivent dans cette même logique.
Mes réalisations récentes s’inspirent de l’interaction avec l’environnement urbain, en commençant par une série de performances, Cityscapes, Home et State of Grace organisées dans différents quartiers de villes sud-africaines. À l’occasion des dix ans d’une démocratie qui n’a pas tenu ses promesses, j’ai entrepris de faire de l’espace public un commentaire ironique de mes créations, en montant par exemple Qaphela Caesar, qui s’inspire du Jules César de William Shakespeare, dans l’ancienne Bourse de Johannesburg.
Également fasciné par l’incarnation de la violence et de ses conséquences sur le corps, je me suis appuyé sur des projections géantes de croquis anatomiques visant à contenir les différents pans d’une œuvre itinérante, Body of Evidence. De la même manière, Blind Spot, une commande de la Biennale Metropolis de Copenhague, explorait les thèmes de la migration et du déplacement à travers une marche de trois heures et demie reliant les ghettos d’immigrants au centre-ville.
J’ai édité deux livres, Acts of Transgression, Live Art in South Africa et Restless Infections, Temporal Public Art in South Africa, sur lequel je travaille encore. L’écriture vient étayer la création artistique et didactique, dont elle permet d’envisager toute l’étendue.
La résidence se déroulera en deux temps : d’abord, une chorégraphie intitulée Surface Tension, une performance interdisciplinaire propre à chaque lieu créée pour le domaine public. Dans ce projet, j’ai cherché à multiplier les couches cinétiques, visuelles et textuelles émanant de témoignages de sud-africains autour de la question du maintien de l’ordre dans le chaos. Le chaos et l’apocalypse sont bien entendu des notions relatives, qu’il s’agisse de micro-agressions, sources de pensées désordonnées, ou d’événements d’envergure, tel que l’Anthropocène précipité par l’incurie et la voracité mondiales. Cette réalisation, davantage inspirée par les premiers que les seconds, s’intéresse aux tentatives du corps à conserver son équilibre face au chaos endémique, aux courants profondément intimes qui font remonter les désirs, défiant autant qu’ils confrontent les absurdités, les angles morts, la sauvagerie et la brutalité de la politique contemporaine. Mes recherches aux États-Unis, et plus spécifiquement à New York, suivront deux axes. En premier lieu, je m’impliquerai dans le mouvement Black Lives Matter, qui qualifie les atteintes portées aux corps des Noirs comme des « guerres nommées et anonymes ». La précision de cette caractérisation trouve son écho, notamment dans un pays comme l’Afrique du Sud qui demeure, aujourd’hui encore, le pays le plus rongé par les inégalités, même après vingt-huit années de démocratie. Je travaillerai également sur les évocations, actuelles comme archivées, d’installations artistiques et de performances publiques, formes qui fleurissent aux États-Unis, en particulier à New York.
Dans un second temps, je m’intéresserai à la programmation des arts vivants contemporains de plusieurs pays africains et de la diaspora, en collaboration avec différents lieux de la Côte Est, dans le but d’explorer les enjeux en matière de rituels, de rassemblements, d’activisme, d’intimité et d’utopies, sous le titre global The Earth Still Shakes. Cela coïncidera avec le lancement du Live Art Network Africa (LANA), conçu pour mettre en relation un vaste réseau d’artistes africains avec leurs pairs, issus de la diaspora africaine, aux États-Unis. Dans cette perspective, je m’emploierai à garder la trace des performances réalisées dans le cadre, notamment, du Smithsonian National Museum of African Art à Washington, du Brooklyn Museum, etc.
Mon travail chorégraphique s’appuiera sur une sélection d’artistes et de techniciens, tandis qu’en matière de programmation, je travaillerai principalement avec le Smithsonian Museum à Washington, le Space for Creative Black Imagination au Maryland Institute for Art de Baltimore et, je l‘espère, le Brooklyn Museum à New York. Mes projets créatifs et chorégraphiques personnels, ainsi que ma mission de programmation, s’inscrivent dans l’interaction avec les espaces urbains et leurs imbrications. Les villes du continent africain font partie de celles qui connaissent la plus forte croissance. New York conjugue dissonance et congruence. Je m’intéresse tout particulièrement à la manière dont le travail des artistes africains, les sujets explorés, les méthodologies et l’émotion du continent africain entrent en résonance avec les œuvres des artistes de la diaspora, compte tenu de l’actuelle instabilité mondiale autour des problématiques de race, de migration et d’habitats précaires.