Who’s Operating the Camera? About “Mauvais Genres”
From October 7 to November 11, the Columbia Maison Française presents eleven films by Sébastien Lifshitz, Agnès Varda, Callisto McNulty, Claus Drexel, Maryam Touzani, Denis Parrot et Djibril Mambety Diop (mostly French-made, but including one Senegalese and one Moroccan work) showcasing stories and portraits of gender identities. Curator Nora Philippe talks to us about “Mauvais Genres,” the fourth edition of an annual film festival running since 2016 (Filming on the Border, Cinema of Resistance, Blackness in French and Francophone Cinema).
A film festival may be likened firstly to the solitary or even austere experience of movie editing, which involves watching countless disparate pieces of footage and slotting some together to bring forth a narrative. The festival curator, then, is like a self-styled supreme orchestrator, viewing dozens of films in the hopes of forging a narrative upon the strict, chronological path through the movie theater, from one screening to the next.
A festival can also be conceived of as the yearning, apprehensive beginning of a dialog with a broad audience whose voice and face are still unfamiliar to us. Meanwhile, we quietly hope that viewers will be transformed by the films, just as we have been. All of this year’s films touch upon issues of transformation, of identities and their futures, of genders, of sexual orientation, of self and prospective selves, whether they be L, G, B, T, Q, A, or +.
In France, these films carry a transformative esthetic, intimate, and political power, but the challenge was to bring them to New York, where they remain virtually unknown. More specifically, we wanted to bring them to Columbia University, where young people from across the globe grapple with the end of their teenage years and the start of adulthood. In my thirst for renewed connections and encounters, I want to ask each viewer the same undoubtedly naïve questions, at the end of each evening: did this film transform you, did it allow you to better grasp or accept a certain part of yourself, did it affect you as powerfully as it did me and the filmmaker(s)?
This edition marks the return of “real cinema” on the Columbia University campus, with the first actual screenings to take place in eighteen months. Yet, while viewers enjoy the big screen, red chairs and projector beaming through the darkness, this year’s audiences lie beyond our visual field. Unable to travel to the US, neither I nor the Parisian filmmakers are able to see the audience. From our Zoom windows, we can only peer at the Columbia University emeritus professors speaking to us on stage, while hearing students’ disembodied emotive voices from behind the webcam, posing questions to our hybridized presences. During viewers’ New York evenings and our Parisian nights, our common domain is this darkened, dreamlike cocoon that brings us together as if we were starring in the films themselves.
In spite of all this, the show must go on, and we gather before these projected beings, magnified on screen to become much larger than us. Each has sought to transmit their own images and words in order to survive and thrive, imposing their identity to build their own communities, and forcefully twisting their own fates to rescript their realities.
Delphine Seyrig films.
Carole Roussopoulos films.Follow the stories of the nimble and ever-moving Women with a Movie Camera, the true lady Vertovs who purchased the first-ever Sony camera, released in 1967. With inexhaustible verve, they have filmed their personal struggles, their American actress sisters, the workers of watch and clock manufacturing plant LIP, the sex workers of Lyon, and their comrades in the French Women’s Liberation Movement (Callisto McNulty’s Delphine et Carole, insoumuses, 2019).
Bambi (2013), d’Alger à Paris, de Jean-Pierre, à Bambi, puis Marie-Pierre Pruvot, se filme, avec une petite caméra Super8, et archive les changeantes étapes de son existence. Sébastien Lifshitz tisse ces images précieuses avec la voix de Marie-Pierre aujourd’hui, comme il tisse délicatement le visage de Thérèse avec ses archives personnelles et familiales, et les Concerto pour Piano et Orchestre n°5 de Bach au piano. Thérèse, elle (Les vies de Thérèse, 2015), a radicalement réécrit sa longue vie au fur et à mesure que les révolutions féministes l’appelaient, de mère au foyer catholique en militante féministe et lesbienne ; lorsque, dans son grand âge, elle voit le terme de sa vie arriver, elle appelle Sébastien Lifshitz pour confier à sa caméra les derniers temps, sa sagesse, ses colères, son humour. Connaissez-vous beaucoup de films documentaires qui passent plusieurs mois auprès d’une femme de 89 ans en train de mourir, et filment avec amour et dignité un corps malade et vieillissant ?
Geneviève, Floria, Isidro, Judith, Juliette, Kimberley, Luciana, Lydia, Mélina, Mylène, Florence, Paola, Pirina, Prya, Raquel, Vicky, Yohanni, Samantha (Au cœur du bois, de Claus Drexel, 2020), depuis la nuit du Bois de Boulogne et la marge de la marge, racontent leurs parcours pluriels, leur analyse implacable de la société dans laquelle elles travaillent, leurs joies, leurs peurs et leurs espoirs, à la caméra de Claus Drexel. A la première du film à Paris en septembre, quelques jours avant l’ouverture de ce cycle, elles montent sur scène avec le réalisateur. Je ne peux me défaire de la croyance animiste que la projection du film les déplace et les fait étinceler à New York, pendant les 90 minutes de la projection, puis au-delà.
Abla et Samia (Adam, de Maryam Touzani, 2019) bouleversent le destin verrouillé des mères marocaines célibataires, pour faire d’une naissance condamnée une renaissance intime, donc sociale, possible. Adam constitue un jalon lumineux dans l’histoire des représentations cinématographiques de la naissance et de l’accouchement, qui en est encore à ses balbutiements.
Cayden, Luke, Loren, Dave, Adore Delano (depuis devenue une drag queen célèbre), Daniel, Ulÿs se mettent en scène au moment de leur « coming out » (Coming Out, Denis Parrot, 2018) en se filmant et en offrant leur courage au monde. Dans ces 1200 vidéos recueillies par le réalisateur sur Youtube, l’image mise en ligne est leur triomphe, leur don à la communauté, mais aussi leur bouclier contre les violences susceptibles de survenir pendant la scène.
Sasha, dans Petite fille (2020), ne se transforme pas, elle ne se filme pas, mais elle se construit, fragile. Elle a sept ans. Elle clame ce qu’elle est et ce qu’elle a toujours été, en une évidence frontale absolue. Sébastien Lifshitz l’accompagne dans ce processus avec la douceur et la pudeur les plus empathiques qui soient.
Cléo, (Cléo de 5 à 7, 1963) elle, opère une bascule du regard dans le premier long-métrage d’Agnès Varda : de chanteuse vaine et regardée, elle devient regardeuse. Un cas d’école – en histoire de la peinture, on parlerait d’un Primitif – de passage du « male gaze » au « female gaze », anté autour de ce qu’on pourrait appeler les performances de genre obligées d’une Parisienne des années 1960, puis de son émancipation. Cléo voit enfin : Paris, les êtres qui l’habitent, la guerre d’Algérie, sa subjectivité, et, avec elle, sa propre mortalité. Comme l’expliquait Rosalie Varda, sa fille, dans une vidéo qu’elle nous a confiée pour introduire la projection : « Dans Cléo de 5 à 7, ma mère délivrait un message féministe clair, celui de l’autonomie. La presse de l’époque, étonnée de l’audace qui consistait à placer une femme au centre de l’intrigue, n’avait pas manqué de le souligner. Elle me disait toujours: dans la voiture, c’est toi qui doit tenir le volant. »
Il aurait fallu accoler à ces ancêtres qui veillent sur nous (on les appelle « films de patrimoine », parlons ici de matrimoine), et dont il ne faut jamais croire la gloire acquise tant une écriture institutionnalisée de l’histoire du cinéma continue d’invisibiliser les cinéastes femmes, Germaine Dulac (qui eut une rétrospective au Lincoln Center en 2018), Alice Guy (récemment honorée à Columbia University), Chantal Akerman (dont la présence plane sur Delphine et Carole, mais dont l’œuvre est assez bien distribuée aux Etats-Unis). La tentation d’une programmation encyclopédique n’est jamais loin…Mais dans le cas de celle-ci, il s’agit de donner accès à des films qui, pour l’immense majorité, sont récents et quasi introuvables aux Etats-Unis, et d’initier ainsi leur cheminement américain. A ce titre, les films de Sébastien Lifshitz, désormais justement mis en lumière en France, ont été excessivement peu montrés aux Etats-Unis – le titre de la série, porté au pluriel, rend hommage à sa collection de photographies queer et son exposition emblématique en 2015, Mauvais Genre.
Hyènes (Djibril Mambéty Diop, 1992) fait figure d’exception : récemment restauré et ressorti, le film est bien édité et distribué aux Etats-Unis. Il était difficile de passer outre une occasion de projeter ce chef-d’œuvre sénégalais étincelant, dont l’intrigue nous amène plus loin encore dans le scénario souterrain de ce cycle. Pour tous les protagonistes des films, la mort rôde. Sasha risque l’effondrement psychique face à la violence transphobe dès qu’elle sort du cocon familial.
Les adolescent·e·s de Coming Out sont confrontées à des situations où leur santé mentale, leur vie matérielle, voire leur vie tout court sont menacées. Denis Parrot, à ce sujet, rappelle le risque de suicide démultiplié chez les personnes LGBT, le nombre de pays où l’homosexualité est pénalisée (69), et celui où elle peut conduire à la peine de mort (11) – continents qui sont, par conséquent, absents du corpus de vidéos recueillies, donc de son film.
Les femmes du Bois vivent dans le risque d’agressions graves, et portent le deuil de leurs camarades assassinées, portées d’ailleurs en épigraphe du film (Vanesa Campos, en 2019). Delphine et Carole filment des avortements clandestins, avant la légalisation de novembre 1974, à une époque où des centaines de milliers d’IVG se font chaque année sans accompagnement médical, avec les risques de mutilation et de mort que cela entraîne. Samia, enceinte de huit mois, finit dans les rues de Casablanca, coupable à mort d’une relation hors-mariage, infiniment vulnérable.
Ramatou, dans Hyènes, prend sa revanche – prend notre revanche peut-être. La mise à mort sociale et symbolique qu’elle a subie alors qu’elle était une jeune mère non-mariée, elle la retourne comme un gant lors de son retour triomphal au village. C’est désormais elle qui, face à une communauté patriarcale, archaïque et aliénée par la colonialité (critique acerbe de Diop à l’endroit du Sénégal contemporain), affirme son droit à prononcer une mise à mort. L’hétéropatriarcat, deadname d’une société qui aspire à la justice!
Les êtres combattifs des films de « Mauvais genres », transformés et transformateurs, nous questionnent et nous requièrent depuis leur naissance sur écran en 1963, 2013, 2015, 2018, 2019, 2020, et enfin, 2021. Ils continuent aussi de vivre leur vie hors-écran, et ont transmis leur combats à leurs descendant·e·s : nous.
“Mauvais Genre“, du 7 octobre au 11 novembre, à la Maison française de l’Université de Columbia. Cycle de films avec les cinéastes invité·e·s Sébastien Lifshitz, Claus Drexel, Denis Parrot, Callisto McNulty, Maryam Touzani, et les professeurs de Columbia University: Ronald Gregg, Madeleine Dobbie, Marianne Hirsch, Souleymane Bachir Diagne, Christia Mercer. Introductions et modération sur scène par Shanny Peer, directrice de la Maison française. En partenariat avec les Services culturels de l’Ambassade de France.