Bojina Panayotova
Réalisatrices, chercheuses | 10 in America
Fall 2022
- Cinéma
- Sciences humaines et sociales
- Washington, DC
« L’écoféminisme en particulier nous engage – belle promesse de cinéma – à créer des visions de mondes meilleurs, à partir de nos subjectivités. »
Bojina Panayotova est une des dix réalisateurs et réalisatrices sélectionnés dans le cadre du projet « 10 In America », une série documentaire de dix courts-métrages qui rassemble une génération de cinéastes français et veut offrir un portrait inédit de l’Amérique contemporaine.
« Après avoir grandi en Bulgarie, j’ai immigré en France à la chute du mur de Berlin. J’ai étudié la philosophie à l’Ecole Normale Supérieure et le cinéma à la Fémis où j’ai rencontré le collectif de réalisateurs-producteurs Stank. Avec leur soutien, j’ai exploré mon Far East bulgare dans deux films sauvages, plébiscités dans les festivals, Je vois rouge (Berlinale 2018) et L’immeuble des braves. Actuellement, j’écris le long-métrage Excessus sur un épisode historique survenu en 1518 à Strasbourg : durant plusieurs semaines, une foule danse sans s’arrêter dans les rues de la ville tandis que les autorités tentent de la maîtriser. Je travaille également sur Bandits, un essai documentaire autour de la performance éponyme de Robin Decourcy.
Dans I can dance in your revolution que je prépare pour la collection 10 in America, je souhaite explorer l’intersection entre l’intime et le politique en revisitant le Women’s Pentagone Action, l’action qui a fondé le mouvement éco-féministe dans les années 80.
Ce projet sera mené avec Isabelle Klein, chercheuse en sciences sociales et humaines, avec qui je collabore également sur Excessus. Nous avons les mêmes obsessions, explorer les contours du pouvoir. Pour reprendre les termes de l’activiste néo-païenne Starhawk : le « pouvoir-sur » qui contrôle et fige quand il est institutionnalisé, et le « pouvoir du dedans » qui donne accès à notre créativité et nous relie les un.es aux autres. Nous élaborons plusieurs projets avec le désir de croiser la recherche et le cinéma pour questionner la tension entre ces deux polarités. Nous voulons aussi l’éprouver dans nos chairs et nos os, et pourquoi pas la transformer. Autrement dit faire de la magie. »
« Le film I can dance in your revolution propose de revisiter le Women’s Pentagone Action qui a fondé le mouvement éco-féministe dans les années 80. Les 16 et 17 novembre 1980, au lendemain de l’élection de Ronald Reagan et en réaction à la politique nucléaire, 2 000 femmes venant de tous les États-Unis encerclent le Pentagone en dansant, improvisent des rituels de deuil, de colère et d’empuissancement, et finissent par tisser un fil de laine qui bloque les entrées du Pentagone, un fil que les policiers coupent et qu’elles retissent encore et encore.
Pour raconter cet événement, j’imagine, avec Isabelle Klein, co-scénariste de ce projet, un récit à la première personne, qui mélange la matière documentaire avec de la fiction : deux femmes racontent, en voix off, à la première personne ce qu’elles ont fait en ces jours de novembre 1980, comment elles sont parties de chez elles, comment elles ont traversé les Etats Unis, comment elles ont rejoint les autres femmes à Washington et encerclé ensemble le Pentagone. Ces voix seront inspirées des témoignages de femmes qui ont réellement participé à l’événement, mais aussi de nous-mêmes.
Ces récits en voix off se composeront sur des images d’archives : à la fois les images du Women’s Pentagone Action, mais aussi des images amateures américaines (films de famille, de vacances, des images domestiques, etc). Le fait de jouer avec cette jonction entre une parole individuelle subjective à la première personne, et des images plurielles, fragmentées, donnera immédiatement le sentiment d’un corps collectif. »
« Nous aimerions profiter de la résidence à Washington pour chercher les images d’archives du Woman’s Pentagon Action, nous espérons aussi rencontrer des femmes activistes qui ont participé à ce mouvement.
Parce que je ne suis jamais allée aux Etats-Unis, j’en ai une image fantasmatique, presque archétypale. Washington en particulier, avec le Pentagone et toutes les institutions décisionnelles, représente quelque chose du pouvoir central que nous allons pouvoir éprouver chacune de façon personnelle et sensible, en nous laissant traverser par ce qui se joue sur place aujourd’hui.
Sur les questions féministes, les Etats Unis et la France n’ont cessé d’entretenir des rapports d’inspirations et de défiance mêlée. En tant qu’intellectuelles, Isabelle et moi nous sentons à l’étroit dans les cadres académiques français prompts à évacuer la vulnérabilité et la porosité des corps de la pensée. L’écoféminisme en particulier nous engage – belle promesse de cinéma – à créer des visions de mondes meilleurs, à partir de nos subjectivités. Nous comptons sur le contexte culturel des Etats Unis pour nous aider à les créer, en bousculant nos habitudes de pensée. »