Les hommes doivent lutter contre le harcèlement de rue
Par Sophie Sandberg
Dans un monde post #MeToo, la sensibilisation au harcèlement sexuel et de genre a progressé, mais alors qu’on célèbre ce 8 mars la Journée Internationale des droits des femmes, il faut reconnaître que le chemin est encore long. L’activiste féministe et fondatrice de ‘Catcalls of NYC’, attirant l’attention sur la violence verbale subie par les femmes dans l’espace public, en appelle ici aux hommes pour participer à la redéfinition d’une masculinité moins toxique.
Adolescente, je vivais à New York, et c’est à cette époque que des hommes ont commencé à me harceler dans la rue.
« Salut ma belle » « Jolies jambes » « Bombe ! » « Allez, dis merci ! » « J’ai envie de te sauter. »
Cette objectification et sexualisation dans la rue ne m’a jamais quittée depuis lors. Étudiante à New York, les remarques ont continué et étaient souvent extrêmement vulgaires et agressives. Quand, à 21 ans, j’étudiais à Paris, je comprenais moins bien ces remarques (mes cours de français n’incluaient pas ces mots), mais il y a certaines choses qui n’ont pas besoin de sous-titres, comme un homme debout au coin d’une rue, son pantalon déboutonné, qui s’exhibe à moi et à mon amie, ou bien un autre qui me pelote dans un métro bondé… Le harcèlement de rue n’a pas de frontières.
Ces expériences m’ont façonnée, comme elles ont façonné beaucoup de filles, de femmes, et de personnes LGBTQIA+, qui sont visées dans l’espace public par le harcèlement sexuel et le harcèlement de genre. Dans une étude récente d’ONU Femmes, 1 femme sur 2 rapporte ne pas se sentir en sécurité quand elle marche seule la nuit. Ça ne m’étonne pas. Mon expérience personnelle du harcèlement de rue a clairement un impact sur comment je me sens dans l’espace public. Elle a un impact sur ma confiance en les hommes. Si, quand je marche dans la rue, je vois un homme ou que je sens sa présence derrière moi, je me crispe. Va-t-il me dire quelque chose ? Va-t-il s’énerver si je ne réponds pas ? Est-ce qu’il me suit ?
Passer à l’action
J’entends parler d’expériences comme les miennes tous les jours sur Catcalls of NYC, la page que j’ai lancée sur Instagram, et dont l’objectif est de sensibiliser au harcèlement de rue. Pour cela, nous réécrivons ces remarques mot pour mot à la craie sur les trottoirs de New York, et publions les photos sur les réseaux sociaux. En partageant publiquement ces histoires, nous cherchons à encourager au dialogue et à la mise en commun de la parole autour de ce problème. Depuis sa création il y a presque 6 ans, Catcalls of NYC a rassemblé 170 000 followers sur Instagram, mobilisé un groupe de 40 bénévoles dévoués et vivant à New York, et inspiré 200 pages de « Catcalls » (« se faire siffler / harceler ») autour du globe.
Environ 10 000 histoires ont été partagées anonymement via les messages privés d’Instagram. J’ai une idée très claire, au pont d’en être troublante, de la manière dont ces expériences ont eu un impact sur les jeunes filles, ainsi que sur les personnes non-binaires et trans. Après avoir été sifflées, certaines victimes se débarrassent des vêtements qu’elles portaient au moment où c’est arrivé. Elles sortent moins la nuit, elles sont mal à l’aise. Elles peuvent traverser des périodes d’anxiété ou même de dépression.
« C’est Normal »
Trop souvent, le harcèlement de rue est vu comme une composante tout à fait normale du fait de devenir adulte. Une fille m’a partagé que la première fois où elle a été sifflée, à ses 12 ans, son père l’a félicitée : « Tu es une femme maintenant. » Une autre m’a envoyé un message, me disant que quand elle a signalé son camarade de classe parce qu’il se masturbait devant elle en classe, le principal lui a dit : « Les garçons seront toujours des garçons ». Normaliser le harcèlement lié au le genre minimise sa gravité et fait pression sur les filles et les femmes pour qu’elles l’acceptent, tout en prenant les précautions nécessaires. Ne sors pas tard. Couvre-toi plus. Fais moins confiance aux hommes. Normaliser le harcèlement est à ce titre tout aussi nuisible pour les garçons. Ça implique qu’ils seraient incapables de s’abstenir de comportements sexuels déplacés. Ça insinue que dès leur plus jeune âge, on s’attend à ce que les garçons fassent du mal aux filles.
Dans un monde post-#MeToo, il y a de nombreuses discussions sur le harcèlement sexuel et lié au genre, qui ont mené à une sensibilisation accrue. Toutefois, la couverture médiatique grand public se concentre souvent sur certains coupables, au lieu de chercher à changer cette culture. Lors de ces moments où on demande des comptes, on ferme les yeux sur un fait incontournable : on a appris aux agresseurs à dépasser les limites, et on leur a montré que quand ils le font, ils ne seront pas tenus de s’en défendre, et qu’il n’y aura pas de conséquences. Cibler des harceleurs en particulier devient un jeu du chat et de la souris. À chaque nouvel agresseur traîné dans la boue, des centaines d’autres ne sont pas signalés. On dit à des centaines de filles et de femmes que le harcèlement qu’elles ont vécu n’était rien d’autre que des garçons se comportant comme des garçons, n’était que des mots, que du flirt, qu’un compliment.
La dé-normalisation du harcèlement lié au genre libère les individus de tous les genres. Elle valide les expériences des genres marginalisés qui ont fait face au harcèlement, ce qui nous permet de redéfinir la masculinité sous un angle plus positif.
Où allons-nous ?
Je vois ce mouvement contre le harcèlement lié au genre prendre une tournure plus collective dans son approche. Le harcèlement sexiste et les normes de genre affectent tout le monde : comment dès lors entamer une conversation qui inclut les personnes de tous les genres dans la solution ?
Pendant 16 jours, j’ai mené une campagne active de responsabilisation, et j’ai demandé aux hommes de parler de leurs expériences avec les normes de genre et le harcèlement lié au genre. Les hommes avec qui j’ai discuté se sont pliés à l’exercice avec honnêteté et vulnérabilité. Un invité, Mike Johnson, a raconté s’être éloigné d’un ami qui appelait les femmes des « putes ». Un autre, Danny Woodburn, a réfléchi à une expérience formatrice, dans laquelle les hommes tissent des liens grâce au porno, et à comment ça l’avait poussé, lui et ses amis, à voir les femmes comme des objets de plaisir sexuel.
Alors que je continue à partager des histoires de harcèlement lié au genre (perpétré, principalement, par des hommes), nos publications Instagram reçoivent un déluge de commentaires du type « Les hommes sont des ordures », « Je déteste les hommes », et même « KAM (kill all men) [Tuez tous les hommes] ». Bien que cette haine soit légitime puisqu’elle provient de traumas et de souffrances, elle empêche toute conversation productive, qui doit impliquer les hommes en tant qu’alliés et défenseurs de la redéfinition de la masculinité.
Un dialogue constructif est plus que nécessaire : il a lieu en ce moment même. J’ai collaboré avec des organisations œuvrant pour une masculinité saine et fournissant des exemples aux garçons, comme A Call to Men, Man Cave, et d’autres. Ce travail s’attaque frontalement à la masculinité toxique et encourage un comportement qui invite au respect plutôt qu’à la haine. Donner aux victimes et aux rescapé∙es un espace dans lequel partager leurs histoires est essentiel dans la lutte contre le harcèlement de rue. Désormais, nous sommes prêt∙e∙s à ce que les hommes partagent leurs histoires à leur tour, et à nous acheminer vers une redéfinition des nomes de genre.
Sophie Sandberg milite pour la justice et l’égalité des genres. Elle est artiste et fondatrice du mouvement Catcalls of NYC, dont les graffitis à la craie dénoncent le harcèlement de rue. Elle a étudié le genre et la sexualité à NYU, et se consacre au combat des violences de genre en s’engageant à petite et grande échelle, avec, notamment, des interventions à l’UNESCO. Elle participera bientôt à un événement à la Villa Albertine… restez connectés !