Laure Pressac
Chercheuse indépendante et curatrice
Printemps-Automne 2023
- Musées
- Houston
- New York
« Comment les graffitis laissés sur nos murs participent-ils à une narration polyphonique de notre époque et contribuent-ils de façon cathartique et artistique à dépasser la sidération et l’horreur d’un attentat ? »
Comprendre comment la culture s’insinue dans notre quotidien, et nous permet de connaître, déchiffrer, et refléter notre époque est un des fils rouges de mon parcours professionnel et de recherche.
Ce questionnement m’a amené à construire un parcours mixte, qui associe sciences politiques, marketing, gestion culturelle, numérique et histoire de l’art. Il m’a poussé alternativement à étudier les livres d’or des visiteurs d’exposition sous un angle sociologique, à mettre en place un train des expositions reliant Paris et Londres, à interroger les motivations des visiteurs d’exposition, à réfléchir aux orientations stratégiques du ministère français de la Culture, ou encore à accompagner la transformation digitale du secteur culturel. Durant cinq années passées au Centre des monuments nationaux, j’ai focalisé mon action sur les projets numériques de l’établissement et sur les questions de patrimonialisation, de médiation, et de transmission.
J’ai aussi pu me pencher sur les graffitis laissés depuis des siècles sur les murs des anciennes prisons, de La Rochelle au Château d’If, et tenter d’en comprendre les motivations, les formats, l’éventuelle universalité de leur contenu. Ce corpus a donné naissance à une saison culturelle de neuf expositions, un ouvrage, et des créations de street artistes in situ, en écho aux monuments historiques.
Comprendre comment ces traces de notre passé sont aussi un écho des faits majeurs de notre époque est aussi ce qui a guidé des recherches complémentaires sur les Gilets Jaunes. Le thème des attentats est un nouveau chapitre de cette recherche sur ce qui unit graffiti, émotion, mémoire et histoire collective.
Laure Pressac est une professionnelle de la culture, chercheuse indépendante et enseignante à Sciences Po et au CNAM. Directrice de la stratégie et du numérique pour le Centre des monuments nationaux de 2014 à 2019, elle y a créé un incubateur pour les start-ups culturelles. Elle a également assuré dans neuf monuments le commissariat de la saison culturelle « Sur les murs » sur les graffitis historiques et en a coordonné le catalogue. Focalisée sur le sujet de la parole des « sans voix », elle fait du travail de mémoire et de la patrimonialisation ses sujets de prédilection.
« Notre vie est celle même d’un de ces murs. Les inscriptions s’y superposent. De temps à autre nous y passons l’enduit qui semble remettre tout à neuf, mais il suffit de gratter de l’ongle pour voir apparaître le dessin ou la maxime de nos années révolues. » (Robert Desnos, 1937)
Est-ce que vous n’avez jamais gravé sur l’écorce d’un arbre des initiales ou écrit votre nom sur votre pupitre d’écolier ? Le graffiti est ce geste universel, ancré dans le quotidien, qui raconte nos émotions, notre identité, et permet aux « non puissants » de s’exprimer. Mais qu’advient-il quand la terreur frappe à la porte, quand le quotidien devient hors du commun, « sidérant », fait de terreur et d’effroi ? Comment les graffitis laissés sur nos murs participent-ils à une narration polyphonique de notre époque et contribuent-ils à dépasser la sidération et l’horreur d’un attentat ?
What remains? interrogera ce rôle potentiellement cathartique des graffitis. Qu’en reste-t-il des années après ? La mémoire qu’ils racontent est-elle aussi universelle ? Est-ce qu’ils peuvent nous aider à surmonter la douleur, l’incompréhension, dans la durée, malgré leur caractère éphémère ? Que nous racontent nos murs sur ces moments tragiques de notre époque ?
Un musée mémorial du terrorisme doit ouvrir en 2027 en France, à Suresnes. Il ouvre la voie à cette question de la mémoire, du dépassement du traumatisme vers autre chose : savoir, questionnement, ou apprentissage. Quelle place le graffiti et sa dimension artistique peuvent prendre dans ce processus ?
Ce sont ces interrogations qui vont guider cette recherche dans les traces d’anciens attentats, aux Éats-Unis, comme un écho à la France, à la rencontre des graffeurs, des victimes, des habitants et des professionnels qui organisent la compréhension et prolongent la mémoire de ces attentats.
« Je me souviens où j’étais, avec qui, et ce que j’ai ressenti » : pour ceux qui l’ont vécu, le 11 septembre 2001 est un point de bascule de notre époque. Il a été le sujet de dessins, bandes dessinées, ou romans et de nombreuses créations artistiques s’en sont fait l’écho. La mémoire de cet attentat hors normes, commis dans la capitale historique du street art, est un point de passage obligé, en écho avec le Mémorial qui se dresse désormais sur les ruines des tours jumelles.
Peut-on aujourd’hui encore identifier des références à cet épisode dans les graffitis visibles sur les murs new yorkais ? Le graffiti est-il présent dans les collections du mémorial ? Cette mémoire est-elle ravivée au moment des célébrations ?
Cette enquête new-yorkaise sera complétée par un retour sur les traces de l’attentat d’Oklahoma City de 1995, attribué au mouvement des « suprématistes blancs ». Un mémorial, qui accueille plus de 350 000 visiteurs par an depuis son ouverture en 2001, a été érigé dans la ville. Retrouve-t-on dans la ville des évocations officielles ou « vandales » de ce traumatisme ? Les célébrations sont-elles l’occasion de voir renaître sur les murs des allusions à cet épisode ?
A New York et Oklahoma City, comment ces deux évènements sont-ils relayés, présents ou absents des graffitis récents et peut-on y lire des différences d’approches sur les notions de devoir de mémoire, de transmission entre le modèle français et l’approche américaine ?
En partenariat avec
Musée-mémorial du terrorisme
D’un genre inédit, le futur établissement sera tout à la fois un lieu de recueillement, un musée d’histoire et de société, une plateforme de documentation et de recherche un centre de formation, de conférences et de débats. Il complètera un dispositif mémoriel dédié qui comprend déjà la médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, la Journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme et la création du Centre national de ressources et de résilience. Le Musée-mémorial du terrorisme place au centre de son projet les victimes, les survivants, les blessés physiques et psychiques, les primo-intervenants et aidants de première ligne (pompiers, secouristes, policiers et gendarmes, médecins, voisins).