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Patrick Boucheron

Historien
2022

© Louise Quignon - Hans Lucas

  • Littérature
  • Sciences humaines et sociales
  • Boston
  • Chicago
  • New York

« Je cherche à ce que l’histoire s’adresse à nos vies, je cherche à faire comprendre que l’on n’a pas à choisir entre la transmission d’un savoir et le partage d’une émotion.  »

A la question « Qui suis-je ? », j’ai beaucoup de mal à répondre « Je suis historien ». Mais une chose est certaine : je fais l’historien, comme on dit en italien (fatto lo storico). Cela tombe bien, car j’ai toujours envisagé l’histoire comme un exercice, et nullement comme une identité. Je pratique l’histoire le plus sérieusement du monde, car je suis chercheur de formation, et j’ai toujours enseigné l’histoire. Pourquoi l’histoire et particulièrement l’histoire du Moyen Âge ? Simplement parce que je continue à trouver cela amusant et émancipateur.  

 

Mais je crois également nécessaire d’affirmer politiquement l’autonomie des savoirs universitaires et la spécificité du régime de vérité des historiens de profession : la discipline historique produit une connaissance qui n’est ni une opinion ni une fiction. Mais je sais aussi que pour être pleinement historien, il ne faut pas se contenter de l’être.  

 

Voici pourquoi je tente de rendre l’histoire accueillante à tout ce qui peut la déborder, du côté de la littérature, du cinéma, de la peinture et du théâtre, en quête de nouvelles écritures à la fois exigeantes conceptuellement et entraînantes sur le plan narratif. 

 

J’y insiste : l’histoire est un art de la pensée qui consiste à se ménager des surprises, une hygiène de l’inquiétude qui fait récit de ses discontinuités. En cherchant de nouvelles expériences, je ne vise ni la vulgarisation d’un savoir déjà constitué ni l’élargissement de l’audience de l’histoire publique ; je chercher à ce que l’histoire s’adresse à nos vies, je cherche à faire comprendre que l’on n’a pas à choisir entre la transmission d’un savoir et le partage d’une émotion.  

 

Patrick Boucheron est historien, professeur au Collège de France sur la chaire « Histoire des pouvoirs en Europe occidentale, XII – XVIe siècles ». Spécialiste du Moyen Âge, notamment de l’Italie, Il travaille aussi sur l’écriture de l’histoire et l’évolution de la discipline. C’est dans cet esprit qu’il a notamment dirigé L’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017). Depuis 2017, Patrick Boucheron est associé au Théâtre national de Bretagne (TNB) que dirige le metteur en scène et comédien Arthur Nauzyciel.  Chaque saison, il invite d’autres complices, universitaires ou artistes, à penser et créer avec lui, un cycle de rendez-vous mensuel, “Rencontrer l’Histoire”, inspiré des thèmes de la saison ou de l’actualité. En 2020, il crée avec Mohamed El Khatib la performance Boule à neige.   

Pour mon projet intitulé « Peste aux USA », l’idée serait de réaliser une expérience contrefactuelle (quelque chose comme une reprise du Complot contre l’Amérique de Philip Roth) tentant d’éclairer l’histoire des Etats-Unis d’aujourd’hui à la lumière sombre d’un événement que l’Amérique n’a pas connu : la peste noire.  

 

« Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste » : voici ce qu’aurait murmuré Sigmund Freud à l’oreille de Carl Jung, lorsque leur bateau arrivait à Ellis Island, dans le port de New York, le 29 août 1909. Cette phrase, mystérieuse et probablement apocryphe, servira de viatique au projet. La référence à la psychanalyse n’est ici pas fortuite, car celle-ci n’a cessé de penser la métaphore de la contagion, jusqu’à l’invention de la notion de « peste émotionnelle » par Wilhelm Reich pour désigner l’enchevêtrement de peurs archaïques, de rancœurs collectives et d’histoires mythifiées qui alimentait le brasier du crime nazi.  

 

Voici presque dix ans, j’ai publié un livre sur la peinture politique qu’Ambrogio Lorenzetti figura sur les murs du palais public de Sienne en 1338 et que l’on connait sous le nom de Fresque du bon gouvernement (le livre a été traduit en anglais en 2018 chez Polity sous le titre The Power of images). J’y racontais la force d’actualisation d’une image ancienne qui relançait, jusqu’à nous, la peur de la tyrannie. Son peintre est mort dix ans plus tard de la peste, la peur politique s’étant convertie en peur biologique. J’ai toujours pensé que j’aurais, un jour, rendez-vous avec cette histoire : celle de la grande peste noire qui ravagea l’Europe de 1347 à 1352. Mon enseignement au Collège de France m’y conduisit, mais par des chemins détournés : après deux ans (2017-2018) consacrés au thème des fictions politiques (ce cours est en voie de traduction anglaise pour Other Press), puis deux ans encore (2019-2020) sur l’expérience politique, je décidais alors de me consacrer en 2021 à l’histoire de la peste noire envisagée comme laboratoire d’interdisciplinarité (j’y traitais autant d’archéologie funéraire que de microbiologie) et épreuve de narrativité. Mais une fois de plus, cette préoccupation historienne était rejointe par les hantises archaïques que font revenir vers nous la pandémie actuelle. De plus, je me rendais compte que tous les projets de théâtre que j’avais envisagé parallèlement pour le TNB (une courte pièce intitulée La Source) ou ailleurs (Boules à neige avec Mohamed el Khatib) évoquaient également, de manière plus ou moins consciente, les mêmes thèmes. La crise nous oblige sans doute à un travail intime de simplification et d’élagage. Comme si l’on devait sinon se recueillir du moins se rassembler, intimement d’abord, collectivement ensuite. Le projet « Peste aux USA » nait de ce désir de rassemblement et d’expérience. 

L’épidémie nous renvoie aux hantises du vieux monde ; comment penser un Nouveau monde qui en serait indemne ? L’expérience sera donc à la fois académique et théâtrale. Elle consistera à planter les tréteaux d’un théâtre de la peste à New York, Boston, Chicago et Los Angeles, en donnant à entendre, pour aujourd’hui, Antonin Artaud bien entendu, Les Contes de la peste de Mario Vargas Llosa mais aussi Les Dernières nouvelles de la peste de Bernard Chartreux, donné au festival d’Avignon en 1984 dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent.  

J’espère pouvoir bénéficier des ressources dans le milieu académique : l’Université de New York et l’Université de Chicago notamment, mais aussi celle de Harvard à Cambridge ou l’Université de Californie à Los Angeles où je travaille avec Zrinka Stahuljak, directrice du Center for Medieval and Renaissance Studies et théoricienne de ce qu’elle a récemment appelé le Médiéval contemporain. J’espère également rencontrer les milieux théâtraux partenaires des créations d’Arthur Nauzyciel.

En partenariat avec

Théâtre National de Bretagne (TNB)

Le Théâtre National de Bretagne (TNB), créé en 1990, est né de la fusion du Centre Dramatique de l’Ouest en 1949 et de la Maison de la Culture en 1968. En tant que Centre Européen de Production Théâtrale et Chorégraphique, il est doté d’une mission élargie qui englobe le théâtre, mais aussi la danse, la musique, le cinéma, la pédagogie, un festival international annuel et une école d’art dramatique. Le TNB accueille environ 200 000 spectateurs chaque saison. Depuis 2017, l’acteur et metteur en scène Arthur Nauzyciel dirige le TNB et a mis en place un projet artistique fondé sur le triptyque : “Partager, transmettre, rencontrer” auquel il a associé 18 artistes, rejoints en 2021 par 10 autres artistes.

 

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