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Elsa Vivant

Professeure en Etudes Urbaines
Mars - Avril 2023

  • Sciences humaines et sociales
  • Boston

« If you see an overdose, don’t run. »

Urbaniste et sociologue, je suis professeure en études urbaines à  l’Ecole d’urbanisme de Paris. Mes premières recherches, consacrées aux relations entre mondes de l’art et de l’urbanisme, développent une analyse critique du rôle de la culture dans les dynamiques urbaines et la recomposition des territoires métropolitains. Dans un mouvement parallèle, j’ai étudié la représentation de l’urbanisme, entendu comme action sur l’espace, dans les créations contemporaines. Depuis plusieurs années, je collabore avec des artistes sur projets en lien avec mes travaux et je mène une réflexion sur l’esthétique des sciences sociales. Comment concevoir des formes qui rendent possible leur mise en discussion ?  

 

Après une première collaboration avec une compagnie de théâtre à la Maison des Métallos pour un projet associant riverains et patients d’un centre de soins en santé mentale, j’ai réorienté mes recherches vers les enjeux spatiaux du soin.

 

« If you see an overdose, don’t run. Call 911. You’re protected by law. »

Lorsque j’arrive à Boston en 2018, ce message diffusé sur des affiches officielles, m’intrigue. Sans savoir où elle me mènera, commence alors une enquête auprès de parents d’enfants morts par overdose, de policiers, de médecins, d’élus, de militants pour la création de salles de consommation à moindre risques, de riverains.  

 

Elsa Vivant est professeure en études urbaines et directrice du Latts (CNRS-ENPC-Université Gustave Eiffel). Elle a été chercheuse invitée à la London School of Economics, au King’s College de Londres et dans les universités de Berkeley et Harvard. Elle a participé au programme d’expérimentation en Arts Politiques de Sciences Po Paris et été artiste-chercheuse invitée aux Ateliers Médicis. Elle a publié plus d’une trentaine d’articles dans des revues académiques internationales. Son premier roman de sciences sociales, L’impasse, scènes de l’urbanisme ordinaire, est publié aux éditions Créaphis (2021). Avec le projet de réaliser un film documentaire, Recovery Island, Elsa Vivant arpentera les espaces de soin et de relégation des usagers de drogues. Elle rencontrera celles et ceux qui tentent de mettre fin à l’épidémie d’overdoses. 

Recovery Island est mon premier film documentaire. Il interroge la construction du regard porté sur les usagers de drogues par la spatialisation de l’offre de soin en addictologie. Celle-ci renforce la stigmatisation des personnes concernées par leur mise à l’écart dans des espaces éloignés (l’île de Long Island) ou dans des zones de relégation (la zone industrielle New Market). À Boston, la spatialisation de ces services de soin a une dimension très visuelle. Le regard est happé par la vétusté des sites, leur inhospitalité, leur éloignement. Que l’on se situe devant New Marlet ou au large de l’île de Long Island, on se sent physiquement séparé des usagers de drogues par un obstacle infranchissable : un boulevard urbain ou la mer. C’est un sentiment très cinématographique de mise à distance. Il s’ajoute aux images médiatiques produites sur les usagers pour contribuer à la production d’un sentiment d’altérité.  

 

Mon film déplace le regard pour questionner autrement la représentation des usages et usagers de drogue. Comment regarder en face un problème que l’on ne veut pas voir ? Comment donner à voir le problème pour le comprendre sans tomber dans le voyeurisme ? Comment ne pas enfermer le regard dans ce qu’il a appris à voir et à regarder ? Comment ne pas reproduire, par la représentation, les préjugés et stigmatisations ? Comment donner à entendre les voix inaudibles ? Le film prend le temps d’écouter les différents points de vue et subjectivités, tout en plongeant le spectateur dans les lieux traversés pour lui faire ressentir la distance et la complexité de la situation. En explorant différents espaces sociaux et géographiques, en écoutant des voix divergentes, le film confronte ce hiatus entre une réalité cachée et sa visibilisation sociale. Le mouvement du film va de la manière dont le problème des opioïdes apparait dans l’espace public, pour progressivement entrer dans les espaces intimes traversés par ce drame familial et personnel.

La crise des opioïdes est souvent présentée comme le symbole du déclassement de la classe ouvrière blanche. Pourtant, Boston, ville riche, cosmopolite et intellectuelle, haut lieu des recherches biomédicales, est durement touchée. Plus de deux cent cinquante personnes y meurent chaque année d’overdose. Depuis 2014, les problèmes liés à la consommation de drogue dans l’espace public se concentrent autour de New Market, une zone industrielle où sont concentrés des services destinés aux sans-abris et/ou usagers de drogues (prison, services de probation, cliniques de méthadone, foyers).

 

New Market constitue une île dans la ville, enclavée par les infrastructures routières, à l’environnement dégradé (une zone industrielle de stockage et de recyclage). Sa localisation périphérique et l’isolement entretenu par la concentration des services aux populations vulnérables constituent le quartier en île, l’île du rétablissement ou Recovery Island. Le titre du projet renvoie également au projet de la municipalité de Boston de créer un campus de soin en addictologie sur une ile au large de la ville (Long Island).

 

Cette forme de relégation d’une population indésirable, pensée comme une réponse à venir pour un problème actuel, rappelle les pratiques anciennes et conservatrices de mise à distance et de confinement des indésirables sur des iles qui, pourtant, ont montré leurs limites. Pour autant, ces lieux de relégation sont aussi des espaces d’un entre-soi protecteur rendant possible la constitution d’une communauté d’usagers. Recovery Island met en regard les modes d’assignation sociale et morale des usagers de drogues avec l’assignation spatiale des soins qui leur sont prodigués, souvent de manière coercitive et infantilisante.

En partenariat avec

Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés (LATTS)

Fondé en 1986 autour des thématiques de la ville et de ses réseaux, ainsi que des entreprises et de leurs modèles d’organisation de la production, le LATTS est un laboratoire pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales, spécialiste de la ville et des territoires, de l’action publique et du travail. Partant du constat que les mondes techniques revêtent une importance particulière et croissante dans les transformations spatiales, sociétales, économiques et politiques, il s’attache notamment à comprendre la manière dont les infrastructures et les dispositifs techniques sont façonnés par les divers mondes sociaux dans lesquels ils s’insèrent et, inversement, comment ils contribuent à les transformer. A travers de nombreuses enquêtes de terrain, les travaux qui sont menés au sein du laboratoire portent une triple ambition : pratiquer une interdisciplinarité exigeante, affirmer le principe d’un solide étayage empirique des recherches, favoriser le débat et la production théorique. Unité mixte de recherche, le LATTS regroupe des chercheurs et enseignants-chercheurs issus du CNRS, de l’Ecole des Ponts ParisTech et de l’Université Gustave Eiffel.

 

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