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Polina Panassenko

Ecrivaine
Septembre-novembre 2025

  • Littérature
  • New York

« Tous les jours, dans la ligne B du métro qui me ramenait chez moi, une voix annonçait “This is a Brighton Beach Bound Express Train”. L’endroit m’inspirait deux peurs contradictoires :  

1) m’y sentir parfaitement étrangère 

2) m’y sentir immédiatement chez moi. »

Je suis née à Moscou en Russie et je suis arrivée en France quand j’étais enfant. Le russe est ma langue maternelle. J’écris de la fiction, de la poésie, du théâtre, je traduis du russe vers le français, du français vers le russe et je joue au théâtre.  

En 2015 j’ai publié Polina Grigorievna, un livre-enquête qui raconte les histoires de cinq de mes homonymes moscovites âgées de 23 à 95 ans.  

En 2022, mon premier roman Tenir sa langue a paru aux Éditions de l’Olivier. À travers l’histoire d’une famille soviétique qui émigre en France depuis la Russie je me suis intéressée à la zone grise qui se situe entre la langue maternelle et la langue étrangère. La narratrice dont le prénom a été francisé à son arrivée en France demande à reprendre son prénom de naissance. 

Avec la villa Albertine, je voudrais poursuivre mon travail sur le plurilinguisme, l’exil et l’émigration, cette fois dans la communauté russophone de Brighton Beach.  

 

Née à Moscou, Polina Panassenko est écrivaine, traductrice et comédienne. En 2015, elle a publié Polina Grigorievna, une enquête parue aux éditions Objet Livre. En 2022, son premier roman Tenir sa langueest lauréat du prix Fémina des lycéens.

J’ai grandi entre le français et le russe. À la maison il fallait parler le russe, à l’école le français et surtout, ne jamais mélanger les deux. En dehors de ma famille, il n’y avait aucun russophone dans mon entourage français. En 1995, ma tante restée à Moscou a gagné à la loterie la green card américaine. C’est dans sa bouche que j’ai entendu le nom de Brighton Beach pour la première fois. À Brighton Beach qu’on appelle aussi Little Odessa vivait l’une des plus grandes communautés russophones au monde. Tout le monde y parlait le Runglish : un mélange de russe et d’anglais. Tel que ma tante l’imaginait, Brighton Beach était une sorte d’Eldorado, un lieu de rêve, de baignade, d’opulence et de liberté où l’on pouvait vivre et travailler sans même parler l’anglais. Ma tante est partie vivre là-bas. La réalité de l’émigration a nuancé sa vision mais une chose était vraie : à Brighton Beach on pouvait faire ce qui m’était formellement interdit en France : mélanger sa langue maternelle avec une autre langue. Au supermarché, on commande un “demi-poundik” de pain, des “sliciki” de jambon, des “pieciki” de fromage et la vendeuse vous comprend parfaitement. 

  À la Villa Albertine, je voudrais voir par moi-même à quoi ressemble la vie dans l’une des plus grandes communautés russophones émigrées au monde et rencontrer différentes générations de personnes qui vivent ou ont vécu à Brighton Beach. Sous quelle forme le lien au pays quitté se reflète-il dans les langues qu’on y parle ?  

À 19 ans, je suis partie vivre un an à New York. Je faisais des petits boulots et je prenais des cours de théâtre à Manhattan. J’ai trouvé une chambre en sous-location à Brooklyn vers Prospect Park et tous les jours, dans la ligne B du métro qui me ramenait chez moi, une voix annonçait “This is a Brighton Beach Bound Express Train”. J’étais attirée par Brighton Beach mais je repoussais le moment d’y aller. L’endroit m’inspirait deux peurs contradictoires :  

1) m’y sentir parfaitement étrangère 

2) m’y sentir immédiatement chez moi. 

J’avais la sensation que je risquais d’y trouver quelque chose d’à la fois léger et tragique. Quelque chose d’invisible et pourtant bien présent. Une chose à laquelle on ne pouvait plus rien changer mais qu’on pouvait encore partager avec d’autres et parfois même en rire. Je voudrais reprendre ces allers-retours entre Manhattan et Brighton Beach et essayer de nommer cette sensation.  

Brighton Beach est un lieu ambigu. L’écrivain Sergueï Dovlatov évoque dans une interview le mélange d’attraction et de répulsion qu’exerce ce lieu sur une partie des russophones. Une attraction honteuse, une sorte de plaisir coupable. On reproche à Brighton Beach son coté populaire, le triomphe du consumérisme sur le spirituel, ses couleurs criardes, ses musiques trop fortes, le mauvais russe qu’on y parle. Pourtant, ajoute Dovlatov, ces mêmes russes qui critiquent Brighton Beach y retournent encore et encore à chacun de leurs passages à New York. 

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