Nicolas Mathieu
Écrivain
2023
- Littérature
- Atlanta
« Ce qui me fait envie, c’est cette Amérique qui n’est ni la Côte-Est ni la Côte-Ouest, de même que mes romans ne décrivent ni les grandes villes ni les banlieues, mais ces territoires intercalaires, hantés par leur passé. »
Depuis l’enfance, la lecture et la littérature ont occupé la meilleure place ou presque dans ma vie. Après des études d’histoire, de cinéma et d’histoire de l’art, j’ai exercé différents emplois, souvent peu considérés et pas toujours très bien rémunérés : professeur à domicile, plume à tout faire, scénariste sans grand succès, j’en passe et pas forcément des meilleurs.
J’ai notamment passé près de 5 années à rédiger des procès-verbaux de réunions de comités d’entreprises. C’est par le biais de ce travail (assez ingrat mais très instructif quant au fonctionnement du monde de l’entreprise) que j’ai commencé à comprendre de quelle manière les corps et l’économie étaient liés, comment marchait cet univers du travail, les forces qui s’y exerçaient, etc.
Jusqu’alors, mes lectures, mon désir d’écriture, mon parcours académique avaient toujours visé à prendre de la distance avec mon milieu d’origine de petite classe moyenne provinciale. Mais c’est dans l’exercice de ces fonctions alimentaires, en assistant à des plans sociaux, en fréquentant des ouvriers et des petits employés, que je me suis rendu compte que mon travail devait porter sur les gens parmi lesquels j’avais grandi, que je devais parler des lieux que je connaissais, des corps qui m’étaient familiers, des manières de vivre qui avaient été les miennes et étaient finalement peu représentées dans la littérature contemporaine.
Ce travail, qu’on peut souvent comparer à celui d’Annie Ernaux ou d’Émile Zola par son caractère à la fois social et réaliste, passe en réalité par les Américains, le roman noir et la littérature du Sud. Ainsi Leurs enfants après eux emprunte son titre à un verset de la Bible où James Agee a lui-même puisé son fameux Louons maintenant les grands hommes. J’ai été très fortement influencé par cette littérature du Sud, William Faulkner, Robert Penn Warren, entre autres.
Nicolas Mathieu est né en 1978, à Épinal. Après des études d’histoire et de cinéma, il s’installe à Paris où il exerce une multitude de métiers (scénariste, stagiaire dans l’audiovisuel, rédacteur dans une société de reporting, professeur à domicile…). Il écrit des nouvelles et des scénarios avant de publier son premier roman Aux animaux la guerre en 2014 sur la fermeture d’une usine dans les Vosges. Il reçoit le Prix Goncourt en 2018 pour son deuxième roman, Leurs enfants après eux, un portrait de jeunes adolescents dans l’Est de la France. Il publie ensuite Rose Royal (2020) et Connemara (2022).
Depuis longtemps, je décris ce que l’on appelle, selon les cas, la France périphérique, la France des petites gens, la France des barbecues, celles des territoires où se coudoient campagnes, ZAC et zones pavillonnaires, des lieux où presque tout le monde vit et dont on ne parle à peu près jamais. Et du fait de la teneur sociale de ces livres, on m’a souvent comparé à une généalogie d’auteurs sociaux et naturalistes.
Mais à la vérité, le grand détour pour moi, ce fut l’Amérique et je dois plus à William Faulkner, John Steinbeck et Bruce Springsteen qu’aux grands anciens du Lagarde et Michard. Si Leurs enfants après eux se déroule exclusivement en été, c’était d’ailleurs pour moi une manière de faire peser sur les protagonistes du livre une fatalité climatique qui rappelle celle des littératures du Deep South.
En me rendant dans le Mississippi, je souhaite au moins trois choses : mesurer l’écart entre mon fantasme littéraire et les faits, entrer en contact avec une Amérique qui n’est ni celle de la côte Est, ni celle de la côte Ouest, découvrir la touffeur de ces étés effroyables, lire Faulkner sur place, « dans son jus » si je puis dire, et surtout finir un roman que j’ai débuté et qui s’intitule pour l’heure Le grand matin. Une fois encore, il est question de ces vies minuscules qui recèlent tant de grandeur, des destins invisibles qui n’ont rien à envier à ceux de la Bible, du cours des fleuves et de nos vies.
En me rendant à Oxford, dans le Mississippi, je rêve au fond de réaliser un fantasme qui consisterait à éprouver cette chaleur que décrit William Faulkner, croiser ces êtres qu’il dépeint, ou leurs petits-enfants tout du moins. Ce qui me fait envie, c’est cette Amérique qui n’est ni la côte Est ni la Côte Ouest, de même que mes romans ne décrivent ni les grandes villes ni les banlieues, mais ces territoires intercalaires, hantés par leur passé, l’impression d’un déclin parfois, le sentiment d’appartenance à une communauté aussi. Ces vies étroites et pourtant si vastes.
J’ai déjà contacté David Boyle (publié en France chez Rivages) qui vit à Oxford et fréquente un grouped’auteurs qui vit sur place. J’aimerais m’imprégner de ces lieux, lire les histoires qui se déroulent dans le Yoknapatawpha, à l’endroit-même où elles sont nées. Respirer un peu de cette Amérique compliquée qui craint pour son avenir et regrette ses gloires d’antan, comme la France dont je parle dans mes romans, et mieux sentir ce qu’il y a dans cet air où vécurent des gens comme Flannery O’Connor, Tennessee Williams ou Carson McCullers. Le Sud.
Quand j’ai postulé pour cette résidence, je venais d’achever Connemara et me sentait vidé. Aujourd’hui, j’ai un autre roman en cours, et j’aurais envie d’en écrire une partie dans ces contrées si chargées. Chargées comme on parle d’une charge de poudre ou de dynamite. C’est-à-dire saturées d’une énergie explosive, écrasante, qui ferait peut-être fleurir quelque chose de spécial dans mon travail.
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