Lalita Clozel & Ariane Mohseni-Sadjadi
Autrices-réalisatrices
Septembre-novembre 2026

- Cinéma
- Chicago
« Dans une recherche formelle constante, nous portons l’intime en processus de conception et de création, tissant un lien de confiance dépassant l’œuvre et permettant la réappropriation du processus filmique et de leur image par celleux qu’on accompagne. »
Notre amitié s’est nouée au lycée. Nous séchions les cours pour enchaîner les séances de cinéma dans le Quartier Latin ou s’installer dans des PMU à l’écoute d’histoires nous ouvrant de nouveaux horizons. C’était le prologue de notre collaboration à venir.
Sept ans plus tard, nous nous lancions dans la réalisation de notre premier long-métrage documentaire, sans formation préalable, ni matériel, ni producteurice, mais avec le parti pris affirmé de mêler l’intime et le politique dans une démarche horizontale. De notre immersion de près de cinq ans dans le quotidien de trois femmes en situation de sans-abrisme est né notre premier film : Homelessly in Love qui sortira le 26 novembre 2025 au cinéma. Adoptant le prisme universel de l’amour nous avons cherché, avec elles, à déjouer les préjugés afin de permettre une identification salvatrice aux spectateurices, à rebours des représentations misérabilistes dont nous inondent les médias. Ce tournage sonna comme une évidence pour nous : on ne s’était jamais senties tant à notre place qu’à celle de réalisatrices.
Nous retrouvant sur des engagements communs, une ouverture radicale à l’autre et l’envie de donner la parole et le pouvoir aux oublié.es de la société, nous avons développé notre méthode de travail par la pratique. Dans une recherche formelle constante, nous portons l’intime en processus de conception et de création. Aussi, que ce soit auprès d’usagères de crack, d’ouvriers sans-papier ou de militantes contre les violences policières, nous passons des mois voire des années en immersion avec les protagonistes, tissant un lien de confiance dépassant l’œuvre et permettant la réappropriation du processus filmique et, à travers lui, de leur image par celleux qu’on accompagne.
Lalita Clozel vient de la presse écrite. Franco-américaine, elle a été publiée notamment dans le New York Times et le Washington Post, et a travaillé comme journaliste financière au Wall Street Journal à Washington, D.C. Diplômée de l’University of Pennsylvania, elle a suivi l’atelier de montage de l’Atelier Varan en 2021.
Diplômée d’HEC Paris, Ariane Mohseni-Sadjadi a quitté sa carrière de tradeuse à Londres pour se consacrer à la réalisation de Homelessly in Love. Elle obtient le master de réalisation de documentaires de l’INA-l’ENS Cachan-École Nationale des Chartes et travaille aujourd’hui sur des sujets engagés à travers une approche immersive et créative. Elle a également enseigné la sociologie à l’université de Rouen.
Ensemble, elles co-réalisent Homelessly in Love, un long-métrage primé aux Escales Documentaires de La Rochelle (Prix du public) et à Dallas (meilleur long-métrage documentaire), sélectionné comme Market Exclusive à Dok Leipzig et en compétition internationale à MyFirstDoc à Tunis. Homelessly in Love sortira en salles en novembre. Puis, elles co-réalisent et produisent JO 2024 : le combat des ouvriers sans-papiers, sorti en juin 2024 sur Arte. En 2024-2025, elles participent aux résidences d’écriture sérielle de la Fémis et du Groupe Ouest pour la série en développement No Go Zone.
Michelle, la protagoniste de notre premier long-métrage, nous a ouvert les portes d’une autre Amérique. Errant de foyers pour femmes battues en hébergement d’urgence pour se défaire d’un mari violent, elle nous a emmené de Hopewell, en Virginie à Youngstown, dans l’Ohio, de Saint-Joseph à Chilicothe puis à Trenton dans le Missouri. Nous avons découvert les rues désertes, les manoirs murés et les usines en ruine, les files d’attente devant les locaux de l’Armée du Salut. Puis le nouveau compagnon de Michelle a trouvé un poste sur une ligne de montage de crosses de revolver. C’était pour nous la rencontre avec ces ouvrier·es rescapé·es, fier.es de leurs emplois écoulant leurs soirées entre les rares pubs encore ouverts et les trailer park cookouts. Leurs vies façonnées par les fermetures d’usine successives faisaient écho à une réalité bien française. Au fil des samedis passés à battre le pavé et occuper des ronds-points auprès des Gilets Jaunes, nous entendions les mêmes histoires. Les emplois rendus obsolètes. Les vies qui s’arrêtent dans l’indifférence.
Dans le fossé qui s’est creusé entre celleux qui appartiennent à l’économie globalisée et celleux qui n’en sont plus, une nouvelle réalité politique est née. Celle des électeurs qui veulent raviver l’industrie pour retrouver les emplois d’avant – des thèmes que l’on retrouve autant au Rassemblement National que chez Donald Trump. Que ces discours soient ou non suivis d’actions, ils ont essaimé dans tout l’Occident, créant un puissant maillage politique en résonnance avec la désindustrialisation galopante et surfant sur le nationalisme.
Avec Désindustries (Discontinued) nous voulons rendre compte de l’ampleur vertigineuse de la désindustrialisation entre des villes moyennes en France et aux Etats-Unis ayant en commun des fermetures d’usines récentes ou en cours et la nostalgie d’un âge d’or révolu. En suivant le quotidien d’ouvriers et ouvrières ancré·es dans leurs villes, nous explorerons aussi la place des communs, grand enjeu de la survie d’un territoire : tavernes, bars-tabac-PMU, etc. Même si ceux-ci se vident au fil des saisons et des fermetures d’usines.
« Elle était pleine de vie, notre petite communauté, non ? » peut-on lire sous une vidéo historique de Trenton.
Il nous importait d’inscrire notre travail dans un territoire au passé faste et à l’économie encore dépendante de l’emploi industriel afin de parler au présent d’une réalité qu’on peut penser dépassée depuis les côtes nord-américaines ou les capitales européennes. Ce choix permet également d’explorer une dynamique politique globale en occident qui n’est pas toujours comprise depuis des territoires où l’ouvrier.e est devenu une figure ringardisée, souvent exclue d’usines transformées en coffee shops ou galeries d’art éphémères. À l’inverse, dans les petites et moyennes villes de la Rust Bell, de Youngstown en Ohio à Saint-Joseph dans le Missouri, d’innombrables musées immortalisent la production industrielle comme les modes de vie d’hier.
Trenton est une ville de 5622 habitants du Missouri rural, où les Amish en calèche côtoient les tanks futuristes des chasseurs de tornades. Pourtant, un quart des emplois y relèvent encore de l’industrie. Avec ses vieux châteaux d’eau, ses maisons en brique centenaires et son Grundy County Museum rempli de bouteille de Coca Cola, d’outils d’usine et de reconstitutions précises d’un General Store à l’époque du Gilded Age, Trenton est cinématographiquement comme narrativement emblématique d’une histoire partagée. À l’origine de l’invention d’un processus de cuisson permettant la mise en boîte de grosses quantités de saucisses à destination des chauffeurs routiers, cette ville a été marquée récemment par les rachats successifs de deux de ses trois usines. Politiquement, cette incertitude quant à l’avenir se fait sentir. Après avoir soutenu Bill Clinton en 1996, la ville a voté pour Donald Trump à 81% aux dernières élections.