Florient Jousse
Comédien, dramaturge, metteur en scène
Avril 2025
- Arts de la scène
- Miami
« Comment un territoire, ici insulaire, se (re)construit culturellement à partir des gouffres laissés par l’Histoire (la colonisation, l’esclavage, les répressions des révoltes)? Quels sont les interstices empruntés pour exister culturellement entre culture dominante et culture en marge ? En d’autres termes, existe-t-il une notion de résilience culturelle transgénérationnelle ? »
Lié depuis l’enfance à L’île de La Réunion, j’ai été très tôt sensibilisé à ce qui définit une nation créole : son histoire complexe, sa langue issue d’un maillage de cultures convergentes, parfois une insularité subie ou revendiquée entre prison et refuge. Depuis la création de la Compagnie Tilawcis, je suis un modeste connecteur, un messager dont les mots ne doivent pas avoir de creux, j’interroge et je célèbre tout à la fois, dans les pièces que nous imaginons avec mon équipe, les chemins de traverse que l’on emprunte pour se reconnaître et se retrouver soi, à travers les autres et par son territoire. Malgré les méandres imposés par une culture dominante ou à cause des limites que l’on s’impose, à ne pas imaginer aller plus loin que les murailles horizontales de l’océan, j’essaie de mettre en avant ces résiliences considérables en marche. C’était le cas dès la première création en 2021 avec Frénésies, un road-théâtre initiatique qui évoque l’ennui d’un jeune homme sans horizon avec l’océan à perte de vue et dont la destinée va le conduire aux États-Unis. Après son passage dans le pays-continent, il comprendra la nécessité de se reconnecter à la terre natale. En effet, mettre en exergue la dichotomie entre gigantisme et intime nourrit mon travail depuis que j’écris. Ma cinquième et future création, Flamboyants ! poursuit ce cheminement en rassemblant des insularités en scène qui, sans s’ignorer, se méconnaissent. Ma résidence à Puerto Rico entre en résonance avec cette nécessité de connexion archipélique.
Florient Jousse se forme d’abord à l’École Supérieure des Comédiens par Alternance (ESCA) à Asnières sur Seine. Ensuite, il intègre de nombreuses compagnies qui le mènent à jouer entre autres au Théâtre National de Chaillot, à résider à La Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, à faire neuf fois le Festival d’Avignon…En 2020, il fonde la Compagnie Tilawcis à La Réunion. Il devient artiste associé à la scène conventionnée du Théâtre les Bambous puis au Centre Dramatique National de l’Océan Indien. Il a été lauréat du programme européen Archipels.eu, ce qui a permis de tourner sa première pièce, Frénésies, dans sept États américains.
En mars 2023, notre compagnie a joué à Puerto Rico. Je ne connaissais pas cette île américaine. Là-bas, j’ai entendu un procédé musical qui ne m’était pas inconnu. C’était la bomba, si proche du maloya réunionnais, dont le socle africain est commun. Ça a sonné comme une révélation. De là est née le besoin d’exploration, avec en ligne de mire, l’écriture d’une pièce de théâtre-documentaire, pensée comme un archipel, se fondant sur cette réflexion : comment un territoire, ici insulaire, se (re)construit culturellement à partir des gouffres laissés par l’Histoire (la colonisation, l’esclavage, les répressions des révoltes)? Quels sont les interstices empruntés pour exister culturellement entre culture dominante et culture en marge ? En d’autres termes, existe-t-il une notion de résilience culturelle transgénérationnelle ? J’essaierai de trouver des réponses dans les moyens de reconquête d’un ancrage culturel intime d’un peuple, d’une communauté, émoussés après des chocs liés à l’Histoire. Alors, pour alimenter le cœur du projet théâtral, j’envisage trois axes de recherche : 1) Le langage originel. En tant que créolophone, je sais que le langage peut transmettre une certaine vision du monde et ouvrir sur une cosmogonie. Porto Rico est encore nommée en langue taïno, Borinquén, qui signifie « Land of the Valiant and Noble Lord ». Cela m’intrigue de rencontrer ceux qui continuent de faire perdurer quelques éléments d’un vocable racinaire. 2) L’imagerie végétale. Je m’inspire beaucoup, dans mes créations, de références à la nature pour renforcer la densité de l’histoire. J’essaierai de découvrir s’il existe des récits autour des arbres ou des plantes endémiques. 3) La musique. Je chercherai à comprendre comment la bomba s’est perpétuée et son rapport à la société contemporaine.
Avant mars 2023, je n’avais jamais eu l’occasion de me rendre aux États-Unis. Longtemps, cela m’apparaissait comme un lointain pays de Cocagne, très en distance avec la réalité. Cette sensation était surtout due au fait que, comme tant d’autres, j’avais été abreuvé au quotidien par des émanations stéréotypées en tous genres. Une fois la démesure du pays-continent digérée, il demeure l’hégémonie culturelle foisonnante qui s’est construite sur la diversité de sa population, de sorte qu’à un moment donné, on se sent forcément un peu chez soi quelque part. Choisir de poser les prémices de ma création aux États-Unis, c’est écouter un diapason dont l’Histoire se répercute en permanence sur celle du reste du monde. Un exemple d’un écho dans cet aspect pluriculturel réside à Puerto Rico. Cette île est un carrefour d’influences multiples menacées par l’oubli, comme à La Réunion. Pour mener mes recherches, je tenterai de rencontrer la professeure d’Histoire, Awilda Rosa Santiago, et Yvonne Narganes, directrice du centre de recherche archéologique de l’Université de Porto Rico. J’emprunterai la route Taína guidée par l’Instituto de cultura puertorriqueña et à cette occasion, je contacterai une représentante taína, Agüeibaná Borrero pour qu’elle évoque sa culture en péril. A Peñuela, au sud, je parlerai avec les créateurs du festival de l’arbre flamboyant, un symbole important qui annonce l’arrivée de l’été dans la zone indo-océanique. Enfin, j’écouterai le collectif de femmes Ausuba, spécialisé dans la bomba pour envisager avec elles, une présence en scène avec les autres interprètes du projet Flamboyants !
En partenariat avec
CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL DE L’OCÉAN INDIEN
The Indian Ocean National Drama Center (CDNOI) belongs to a network of 38 cultural structures dedicated to the development of theatre in France. CDNOI develops its project supporting contemporary artistical creations in Reunion Island in connexion with the French territory, defending creole culture and language in theatre, between institutional and popular field.