Bouziane Bouteldja & Magda Bacha
Chorégraphe et activiste culturel ; Directrice déléguée et activiste culturelle
Février-mars 2025
- Arts de la scène
- Miami
« Nous chercherons à comprendre comment la danse peut être un moyen de résistance et d’émancipation pour certaines minorités à travers le monde. Dans une approche intersectionnelle, nous nous intéresserons à l’histoire du waacking et du voguing dans les luttes des communautés LGBTQIA+ aux États-Unis. »
Bouziane Bouteldja
Je suis chorégraphe et directeur artistique d’une compagnie de danse basée à Tarbes dans le Sud-Ouest de la France. Je dirige également un centre de danse qui fédère des populations différentes et qui fonctionne suivant les principes de l’économie sociale et solidaire. Pour moi, la danse est un outil d’émancipation et mon langage chorégraphique provient des danses urbaines. Dans mon travail artistique, je cherche toujours à adresser des problématiques sociétales en partant souvent de mon histoire personnelle. Dans mes derniers spectacles, j’ai abordé des sujets très différents. Toujours en quête d’altérité dans une société plurielle et fragmentée, Telles quelles/Tels quels (2019) creusait de multiples questions identitaires : culturelles, genrées ou religieuses. Ruptures (2021) adressait la question des migrations à l’ère de l’Anthropocène. Le duo Rideaux de frères (2023) plongeait dans la complexité des relations Algérie/Maroc. Ma dernière création, Récréations (2023) donne à voir les élans et les freins de la jeunesse aujourd’hui, tout en cherchant à trouver des moyens d’ouvrir les salles de spectacles.
Magda Bacha
Je travaille au sein du Théâtre La Cité à Marseille qui organise le festival de la Biennale des écritures du réel à travers la ville. Il y a quatre ans, j’ai rencontré Bouziane Bouteldja autour d’un projet de création artistique déployé sur deux ans qui travaille à construire un spectacle à partir des vécus et récits d’un groupe de jeunes issus de quartiers ainsi que de milieux sociaux et culturels très différents. Sur le terrain, au fil de ces ateliers, nous avons constaté la prégnance de plus en plus forte chez les jeunes des questionnements liés à leur orientation sexuelle et aux identités de genre. Aujourd’hui, dans un contexte politique français où se répandent la compétition victimaire, la tendance au communautarisme et la reconstruction de récits fantasmés, il est nécessaire de mêler les approches, celle des sciences sociales et de la danse, d’un langage scientifique et d’un autre plus poétique pour adresser ces questions, à la fois dans la programmation et dans la transmission auprès des deux troupes de jeunes permanentes du théâtre.
Bouziane Bouteldja a découvert la danse hip hop en 1998 en pratiquant le break dance. De nombreuses rencontres l’ont très vite conduit à s’intéresser à la scène et à s’ouvrir à l’univers de la danse contemporaine, sans perdre de vue l’univers des compétitions hip hop (il est membre de la Zulu Nation). Il dirige la compagnie DANS6T depuis 2007 et a créé une dizaine de pièces chorégraphiques. En 2016, il est nommé par la Ministre de la Culture Chevalier des Arts et des Lettres.
Magda Bacha a eu un parcours universitaire entre la France (Sciences Po Paris), le Canada à (McGill University) et le Danemark (University of Copenhagen) qui l’ont menée à croire en la richesse de l’interculturalité et la force transformatrice de l’éducation par l’art. Ses différentes expériences professionnelles auprès de compagnies, de lieux de création ou de diffusion labellisés et de festivals l’ont conduite à s’engager dans un lieu intermédiaire, le Théâtre La Cité, où elle devient aujourd’hui directrice déléguée.
Depuis dix ans, lors de la création de son premier solo Réversible (2014), Bouziane Bouteldja explore indirectement les questions liées aux identités de genre dans ses spectacles et différents dispositifs pédagogiques. Aujourd’hui, la montée des conservatismes politiques et religieux partout dans le monde rend cette question d’autant plus urgente. Cette résidence nous permettra de nourrir notre réflexion qui cherchera à comprendre comment la danse peut être un moyen de résistance et d’émancipation pour les luttes sociales et politiques de certaines minorités à travers le monde. Plus précisément, nous nous intéresserons à l’histoire du waacking et du voguing comme moyen de revendication pour les communautés LGBTQIA+ aux États-Unis.
Ce temps de recherche nourrira deux projets en cours de création :
- un spectacle, sous la forme d’une conférence dansée – Des danses et des luttes – qui raconte l’histoire des danses, et celle des luttes et revendications qu’elles portent à travers le monde, aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Afrique et en Europe.
- un dispositif pédagogique de danse-forum qui mêle des extraits dansés des spectacles de Bouziane Bouteldja, des exercices pratiques et des connaissances historiques afin d’ouvrir une réflexion et un débat auprès d’un groupe d’une vingtaine de personnes. Un premier module – Histoire en mouvement – mettait en jeu les participants autour de questions relatives à la diversité culturelle, la laïcité et l’intégration dans la République française. Ce second dispositif voudrait porter les questions identitaires au centre du débat. Ces dispositifs, pensés sous la forme de « journée-débat » permettent de passer du geste à la parole, de lier récits intimes et collectifs, pour mettre des observations, témoignages et ressentis en perspective avec des connaissances en sciences sociales.
La Floride aujourd’hui est un terrain de recherche d’autant plus pertinent que les communautés LGBTQIA+ sont aujourd’hui attaquées par la politique transphobe et anti LGBTQIA+ mise en place par le sénateur Ron DeSantis ces dernières années. De la révolution de Stonewall en 1969 en passant par la tuerie à Orlando en 2016 et au Don’t Say Gay de 2022, l’histoire des minorités LGBTQIA+ aux États-Unis a dans le passé ouvert la voie aux changements sociaux et politiques en Europe, mais est aussi confrontée aujourd’hui à la résurgence de conservatisme, comme en France. Cette perspective comparée entre les États-Unis et la France nous permettra de mieux comprendre les antagonismes et les convergences dans les luttes des communautés LGBTQIA+ des deux pays. Nous nous en inspirerons pour mieux adresser ces sujets en France.
Une fois sur place, plusieurs axes de recherche structureront notre travail. D’abord, nous voudrions aller à la rencontre des membres issus de la communauté LGBTQIA+ afin d’étudier les discours et d’observer les pratiques en action au sein de leurs stratégies de lutte. Nous pourrions, par exemple, rencontrer des chorégraphes et des danseurs ou danseuses locaux, assister à de grands événements de la communauté, comme le Palm Beach Pridefest ou le Winter Party Festival à Miami. Ensuite, nous mènerons notre recherche selon une approche intersectionnelle et veillerons donc à recueillir les témoignages de représentants de communautés culturelles différentes pour comprendre l’imprécation de luttes raciales et sociales au sein des revendications de la communauté LGBTQIA+. En effet, depuis les années 60 et bien avant, la Floride a toujours été une terre d’accueil pour de nombreux migrants cubains et latino-américains. Enfin, nous souhaiterions aussi rencontrer des acteurs académiques et institutionnels issus des milieux artistiques, culturels et scolaires pour mieux comprendre la complexité des enjeux politiques et la manière dont les danses et les luttes de la communauté LGBTQIA+ sont perçues.
En partenariat avec
Théâtre Joliette
Le Théâtre Joliette offre une programmation contemporaine ouverte sur l’international, en écho au monde actuel. Il accompagne les artistes aux différentes étapes de leur création et s’attache à bâtir entre les artistes et les publics une relation dans laquelle chacun·e se nourrit et apprend de l’autre.