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Villes et campagnes : comment alimenter les villes?

Table ronde

© Pierre-Yves Brunaud

Friche La Belle de Mai
41 Rue Jobin, Marseille, France
13003

J.Olu Baiyewu, Directeur de l’agriculture urbaine de la Ville d’Atlanta, était invité en avril 2023 à Marseille dans le cadre du programme City/Cité de la Villa Albertine et de Terres Communes (11 avril – 24 mai 2023), un événement co-produit par le Bureau des guides du GR2013 et la Cité de l’Agriculture, avec la Friche la belle de Mai. Cette école buissonnière a proposé durant plus d’une semaine des conférences, ateliers et marches publiques, dans le prolongement de l’exposition de Sebastien MarotTaking the Country’s Side / Prendre la clé des champs (Agriculture & Architecture).  

À cette occasion, il a participé à un plateau radio proposé par Radio Grenouille et les Grandes Tables et modéré par Pierre Psaltis sur le thème « Villes et campagnes : comment nourrir les villes ? ». Parmi les participants :  Sébastien Marot, Carolyn Steel, Emmanuel Perrodin, ainsi que Laure Gaillard, Cheffe de Service Alimentation au sein de la Direction Agriculture de la Métropole Aix-Marseille-Provence. À découvrir ci-dessous : un entretien avec J.Olu Baiyewu suivi d’une interview de Laure Gaillard.

La population urbaine mondiale devrait augmenter de quelque 2,2 milliards de personnes d’ici 2050, selon les Nations unies. Dans un contexte croissant de bouleversement climatique, de volatilité des prix et d’accès inégal à l’alimentation, nourrir sainement et durablement les villes de demain apparaît comme un véritable défi. 
À l’heure où les haricots verts du Kenya concurrencent ceux de Bretagne sur les étals de nos marchés et supermarchés, le ventre des villes peut-il encore renouer avec l’agriculture périurbaine, sans exercer une pression destructrice sur les campagnes pourvoyeuses ? Et que peut l’agriculture urbaine pour l’autonomie alimentaire des citadins et citadines ? 
Dans la plupart des métropoles, des réseaux de partenaires, dont les élu·es, se mobilisent pour recomposer le rapport villes/campagnes, en conciliant sécurité alimentaire et enjeux écologiques. Entre spécificités locales et enseignements à l’échelle mondiale, quel avenir se dessine pour l’alimentation urbaine ? 


Entretien : J.Olu Baiyewu

Écouter cet entretien ici

J. Olu, vous êtes le directeur des programmes d’agriculture urbaine de la ville d’Atlanta et un fervent promoteur de l’agriculture urbaine. À Atlanta, il y a des fermes urbaines, des jardins et des forêts alimentaires. Le monde a-t-il pris conscience des urgences selon vous, ou bien y a-t-il des continents qui restent aveugles face à l’urgence ? 

J’aimerais avant tout mentionner une dimension importante à propos de l’agriculture urbaine : on parle de guérir la terre, mais il s’agit aussi de guérir les peuples. Aux États-Unis, l’histoire de l’agriculture est horrifiante : il y a ces terribles massacres des peuples autochtones, il y a ces déplacements forcés d’êtres humains depuis l’Afrique, pour labourer la terre. Et même de nos jours, quand on pense aux systèmes alimentaires, ils sont peuplés de personnes d’origine hispanique. Je tiens à le souligner et à leur donner une certaine reconnaissance ; je tiens aussi à exprimer mon honneur, ma gratitude et mon respect à tous, à toutes nos relations qui honorent et respectent la terre, au fur et à mesure que nous avançons. 

Pour répondre à votre question, le monde est conscient, Atlanta est une ville consciente. Durant la période du covid, en allant à l’épicerie, ça nous est tous arrivé au moins une fois qu’il n’y ait plus de nourriture. Peu importe si vous veniez des quartiers riches ou pauvres. Cela montre de façon très claire que le système alimentaire est défaillant, et l’une des réponses à ce problème, ce sont les échelles locale, hyper-locale, et régionale. La clé, c’est l’agriculture urbaine. 

Combien y a-t’il d’habitants à Atlanta et combien se nourrissent d’ultra local ? 

La ville compte 500 000 habitants et l’agglomération, 6 millions. Il y a énormément de quartiers et de municipalités. Concernant celles et ceux qui sont au courant de l’existence de l’agriculture urbaine, cela devrait tourner autour de 50 %. Pour celles et ceux qui participent, cela varie ; il y en a qui produisent, d’autres qui créent des produits à valeur ajoutée, certains qui sont agriculteurs, ou encore distributeurs. Et enfin, impossible d’omettre celles et ceux qui font du compost et du recyclage organique, qui nourrissent la terre et les pollinisateurs. Difficile, donc, de donner un pourcentage précis. Je dirais que le pourcentage est situé à moins de 50%, mais il est croissant, c’est sûr. 

Atlanta est-elle une ville pionnière ou bien y a-t-il d’autres villes aux États-Unis qui abritent une organisation comme la vôtre ? 

Les deux. Atlanta était la première ville à avoir un directeur pour l’agriculture urbaine aux États-Unis, en 2015. Je suis la deuxième personne à tenir ce poste, j’ai commencé en novembre 2020. Atlanta est une ville pionnière en ce qui concerne la reconnaissance du fait que ce poste doit se situer à une échelle gouvernementale, de façon à répondre à un certain niveau d’autorité, de négociation et de prise de décision. Mais je reconnais qu’aux États-Unis, en ce qui concerne le mouvement biologique (« organic movement »), il y avait deux courants : l’un provenait de la côte ouest (Californie, Washington, Oregon) et l’autre, des pratiques indigènes originales, pratiques qui existaient depuis le début mais qui n’étaient pas désignées par le terme “biologique” ou autre. 

En quoi l’agriculture urbaine va-t-elle réduire les inégalités alimentaires ? Est-ce que, par exemple, la culture sur place limite les frais de transport et permet des tarifs moins onéreux ? 

La clé, comme beaucoup de gens l’ont dit ici aujourd’hui, c’est la collaboration. L’union fait la force : on divise la charge de travail et par-là, on l’allège. Il faut également tenir compte du contexte historique, penser à la réparation de la terre et à la réparation de la culture. À Atlanta, on dispose de beaucoup d’endroits vacants qui donnent aux communautés la possibilité de créer leur propre ferme ou jardin, comme à Marseille, et dans d’autres villes. Lorsque l’on procède aux sélections, il s’agit là encore d’un processus équitable, garantissant que les communautés qui ont été systématiquement délaissées, rejetées, soient désormais en première ligne pour pouvoir bénéficier des avantages de cette merveilleuse nourriture que nous cultivons, et profiter ainsi de cette incroyable expérience. 

Qu’est-ce qu’une « food forest » ? 

La ville d’Atlanta a une forêt comestible à Browns Mill [Sud d’Atlanta]. C’est la plus grande forêt comestible urbaine des États-Unis – 9 acres [3,6 hectares]. Dans cet espace, on trouve des aliments comestibles : différents types de baies, de noix, de champignons, et on y injecte également davantage de lits de jardin surélevés, de lits pour pollinisateurs, d’infrastructures vertes, et les organisations communautaires en assurent l’intendance. La ville est donc propriétaire du terrain, mais c’est en collaboration avec la communauté qu’elle s’occupe directement de l’élimination des espèces envahissantes, des plantations, des distributions et du programme. 

C’est donc le retour du glanage…? 

Exactement : c’est le retour du glanage, c’est le retour à la terre. Il est aussi question d’éducation et de sensibilisation. On doit être visible quand il s’agit d’agriculture urbaine. On doit être transparents. Les gens ont besoin de voir, de toucher, de sentir. Les forêts comestibles urbaines leur donnent la possibilité de retourner à la nature et de participer. 

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© Pierre-Yves Brunaud

J.Olu Baiyewu est Directeur des programmes d’agriculture urbaine pour la Ville d’Atlanta. Il fait également partie de la direction d’AgLanta, une plateforme numérique de l’Office of Sustainability and Resilience et du Département d’Urbanisme de la Ville d’Atlanta, qui promeut l’agriculture urbaine. AgLanta gère plusieurs fermes urbaines, des jardins et des forêts alimentaires et cherche à améliorer l’accès de nombreuses communautés à des aliments frais en soutenant un système alimentaire plus résilient, équitable, inclusif, juste et accessible pour les habitants d’Atlanta. Avant de travailler pour la Ville d’Atlanta, M. Baiyewu était Directeur des programmes et de la communication pour la Food Well Alliance. 


Entretien : Laure Gaillard

Je parlais de votre qualité de Cheffe de service alimentation à la direction de l’agriculture au sein de la métropole. Dans un récent rapport, en 2022, il apparaissait que l’agriculture est un enjeu majeur de souveraineté alimentaire pour la métropole. Et l’institution avait fait 3 propositions, entre autres saillantes, qui ressortent de ce rapport. La première consiste à sanctuariser et à mieux exploiter les terres agricoles de la métropole. Ce sont des choses qui sont enclenchées, qui sont mises en marche. Comment ça se passe ?  

Franchement, on est très honoreś de passer après Atlanta. Effectivement, cette première proposition se concentre sur le territoire de la métropole et du département plus largement, parce qu’en fait, on a pris en charge la question alimentaire depuis 2018 dans le cadre d’un projet alimentaire territorial. Et comme on l’a décrit cet après-midi, on est donc un bassin de consommation. Nous, on a 2 millions de personnes à nourrir sur le territoire. Et le bassin de production, comme vous pouvez le constater, n’est pas ici, en ville. Il est sur la Camargue, sur le Pays d’Arles. Donc, en fait, on a fait un petit peu éclater les barrières administratives et on s’est rallié avec les gens du Pays d’Arles, ce qui était tout à fait logique pour créer. En tous les cas, il y a une dynamique, une coopération avec le bassin de production. Pour les gens qui viennent de Géorgie, c’est vrai que Marseille est très urbain, minéral. Mais tout autour de Marseille, on a ce qu’on appelle le périurbain. Et il y a beaucoup de petits villages, beaucoup de plaines agricoles. Donc on est sur un territoire quand même très particulier, spécialisé dans le maraîchage et la grande culture. Avec un petit peu d’élevage sur la Camargue, et avec, évidemment, le riz et les taureaux de Camargue. Depuis 2018, on s’est penchés là-dessus. Le rapport dont vous faites état, c’est la souveraineté alimentaire, qui est arrivée en 2022. Après le Covid, la guerre en Ukraine, et toutes ces problématiques internationales qui sont arrivées chez nous. Nous, pendant le confinement, c’est un petit peu comme le décrivait mon collègue d’Atlanta. On n’a pas eu de rupture de stock, mais par contre, on a eu beaucoup de problématiques d’approvisionnement. On avait des agriculteurs qui n’avaient plus les moyens de produire parce que la main d’oeuvre n’était pas là. Ça, on n’en a pas du tout parlé dans la journée. Mais être agriculteur, c’est un métier qui est dur. C’est un métier qui est exigeant. Et on n’avait plus de bras. Par contre, on avait des marchés qui se fermaient et on avait une crise Covid très problématique. Donc on a beaucoup travaillé avec le secteur agricole à ce moment-là et on a commencé à tisser aussi des liens nouveaux pour aller aider les agriculteurs à acheminer tous ces produits frais et locaux. Et on a fait 30 000 paniers solidaires pendant le confinement. Donc là, on a reconnecté la campagne et la ville et surtout les quartiers, les QPV, comme on les appelle, les quartiers politiques de la ville. Et on a acheminé 30 000 paniers. On a été la collectivité en France qui a acheminé le plus de paniers. Et c’était pas avec des boîtes de conserve, avec des produits transformés, c’était avec des fruits et légumes frais issus du territoire. Et ça a été une super chaîne de solidarité. Si je donne cet exemple, c’est parce que c’est un petit peu aussi ce qui représente Marseille et notre projet alimentaire territorial. A la fois, c’est des questions d’agriculture, d’emploi, de sanctuarisation des terres agricoles. Oui, il faut protéger, animer ce foncier agricole, sinon il se fait grignoter. Et en même temps il faut alimenter la ville et bien sûr apporter une alimentation de qualité accessible à tous, et accessible à tous sur notre territoire, ce qui est particulièrement important.  

Vous m’avez donné le chiffre tout à l’heure, combien faut-il d’hectares pour nourrir la ville de Marseille ?  

Je ne voulais pas plomber l’ambiance.  

Non, mais il y a des chiffres à connaître.  

Effectivement, quand on est face à des convaincus, c’est chouette. On se dit, c’est génial, les circuits courts, c’est fabuleux. Sauf qu’en fait, maintenant, on a des outils de calcul avec des noms barbares qui s’appellent cratères.  

C’est vous qui les faites, les calculs ?  

Ce n’est pas nous, mais il y a les greniers d’abondance qui ont travaillé sur des sujets comme ça. Et ça permet quand même, à l’échelle d’une ville, de calculer combien d’hectares agricoles il faut pour alimenter une population. Donc, en fait, pour Marseille, il faudrait 500 000 hectares. 500 000 hectares pour sustenter la ville. Voilà, 800 000 habitants. Et Marseille fait 23 000 hectares. Donc on a un petit souci. Du coup, il faut travailler en coopération. Ce que je voulais vraiment dire, c’est que nous, à l’échelle du projet alimentaire et sur le plan de la souveraineté alimentaire, on travaille vraiment en coopération. On essaie de faire en sorte que tout le monde travaille ensemble. On essaie de responsabiliser les maires en premier chef, puisque nous, on est une métropole et donc on accompagne les communes. C’est un petit peu tout ce qu’on a dit toute la journée : chacun doit prendre sa part à son échelle, à son endroit. Et nous, on travaille vraiment sur la sensibilisation des élus, sur le zéro artificialisation net, le ZAN qui arrive. On a encore un autre nom barbare. Mais voilà, l’idée, c’est ça. C’est vraiment de protéger les terres agricoles qui ont été grignotées. Mais en même temps, c’est aussi la logique d’une métropole et d’une institution comme ça. C’est qu’il faut créer des logements. Il faut créer de nouveaux projets. Il faut améliorer le système routier. Il y a toujours plein de projets. Et du coup, l’agriculture hier, elle arrivait comme un énième projet et qui n’était pas forcément prioritaire. Donc l’idée d’un projet alimentaire ou d’une souveraineté, c’est d’aller travailler en coopération avec tous les acteurs pour qu’on change vraiment de manière systémique le système alimentaire.  

Est-ce qu’il reste encore beaucoup de terrains disponibles, viables, pour des projets agricoles ?  

Oui, il y en a. Il faut aller les chercher. Ils ne sont pas dans la ville, ils sont un petit peu en dehors. Ils ne sont pas tous faciles d’accès. Mais oui, il y en a, il y a de la place pour les gens qui veulent s’installer.  

La part du bio dans l’agriculture du département ?  

On est bien placés, quasiment dans le top 3, grâce à la viticulture aussi. C’est un chiffre qui est positif, grâce aussi à la viticulture qui a fait un gros travail sur le phyto. On accompagne aussi les agriculteurs avec les CETA, les centres d’études techniques. C’est vrai que c’est facile de donner des injonctions et de dire qu’il faut que tout le monde passe au bio. Ce n’est pas toujours facile, ce n’est pas toujours simple. Il faut accompagner les agriculteurs parce qu’ils ont déjà une charge d’exploitation agricole. C’est lourd une exploitation agricole, c’est exigeant. Juste à côté, il y a des agriculteurs qu’on a installé́ dans Marseille, qui sont jeunes, qui ont la pêche, qui arrivent vachement bien. Mais oui, c’est un boulot qui est dur. C’est très exigeant.  

Mais enfin, on a quand même fait de magnifiques progrès.  

Oui.  

Et on va continuer.  

Bien sûr. On valorise les circuits courts à fond.  

Merci, Laure Gaillard !

© Pierre-Yves Brunaud

Laure Gaillard – Cheffe de Service Alimentation au sein de la Direction Agriculture de la Métropole Aix-Marseille-Provence

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