Découvrir l’intervention de J. Olu Baiyewu – Terres Communes 2023
J. Olu, vous êtes le directeur des programmes d’agriculture urbaine de la ville d’Atlanta et un fervent promoteur de l’agriculture urbaine. À Atlanta, il y a des fermes urbaines, des jardins et des forêts alimentaires. Le monde a-t-il pris conscience des urgences selon vous, ou bien y a-t-il des continents qui restent aveugles face à l’urgence ?
J’aimerais avant tout mentionner une dimension importante à propos de l’agriculture urbaine : on parle de guérir la terre, mais il s’agit aussi de guérir les peuples. Aux États-Unis, l’histoire de l’agriculture est horrifiante : il y a ces terribles massacres des peuples autochtones, il y a ces déplacements forcés d’êtres humains depuis l’Afrique, pour labourer la terre. Et même de nos jours, quand on pense aux systèmes alimentaires, ils sont peuplés de personnes d’origine hispanique. Je tiens à le souligner et à leur donner une certaine reconnaissance ; je tiens aussi à exprimer mon honneur, ma gratitude et mon respect à tous, à toutes nos relations qui honorent et respectent la terre, au fur et à mesure que nous avançons.
Pour répondre à votre question, le monde est conscient, Atlanta est une ville consciente. Durant la période du covid, en allant à l’épicerie, ça nous est tous arrivé au moins une fois qu’il n’y ait plus de nourriture. Peu importe si vous veniez des quartiers riches ou pauvres. Cela montre de façon très claire que le système alimentaire est défaillant, et l’une des réponses à ce problème, ce sont les échelles locale, hyper-locale, et régionale. La clé, c’est l’agriculture urbaine.
Combien y a-t’il d’habitants à Atlanta et combien se nourrissent d’ultra local ?
La ville compte 500 000 habitants et l’agglomération, 6 millions. Il y a énormément de quartiers et de municipalités. Concernant celles et ceux qui sont au courant de l’existence de l’agriculture urbaine, cela devrait tourner autour de 50 %. Pour celles et ceux qui participent, cela varie ; il y en a qui produisent, d’autres qui créent des produits à valeur ajoutée, certains qui sont agriculteurs, ou encore distributeurs. Et enfin, impossible d’omettre celles et ceux qui font du compost et du recyclage organique, qui nourrissent la terre et les pollinisateurs. Difficile, donc, de donner un pourcentage précis. Je dirais que le pourcentage est situé à moins de 50%, mais il est croissant, c’est sûr.
Atlanta est-elle une ville pionnière ou bien y a-t-il d’autres villes aux États-Unis qui abritent une organisation comme la vôtre ?
Les deux. Atlanta était la première ville à avoir un directeur pour l’agriculture urbaine aux États-Unis, en 2015. Je suis la deuxième personne à tenir ce poste, j’ai commencé en novembre 2020. Atlanta est une ville pionnière en ce qui concerne la reconnaissance du fait que ce poste doit se situer à une échelle gouvernementale, de façon à répondre à un certain niveau d’autorité, de négociation et de prise de décision. Mais je reconnais qu’aux États-Unis, en ce qui concerne le mouvement biologique (« organic movement »), il y avait deux courants : l’un provenait de la côte ouest (Californie, Washington, Oregon) et l’autre, des pratiques indigènes originales, pratiques qui existaient depuis le début mais qui n’étaient pas désignées par le terme “biologique” ou autre.
En quoi l’agriculture urbaine va-t-elle réduire les inégalités alimentaires ? Est-ce que, par exemple, la culture sur place limite les frais de transport et permet des tarifs moins onéreux ?
La clé, comme beaucoup de gens l’ont dit ici aujourd’hui, c’est la collaboration. L’union fait la force : on divise la charge de travail et par-là, on l’allège. Il faut également tenir compte du contexte historique, penser à la réparation de la terre et à la réparation de la culture. À Atlanta, on dispose de beaucoup d’endroits vacants qui donnent aux communautés la possibilité de créer leur propre ferme ou jardin, comme à Marseille, et dans d’autres villes. Lorsque l’on procède aux sélections, il s’agit là encore d’un processus équitable, garantissant que les communautés qui ont été systématiquement délaissées, rejetées, soient désormais en première ligne pour pouvoir bénéficier des avantages de cette merveilleuse nourriture que nous cultivons, et profiter ainsi de cette incroyable expérience.
Qu’est-ce qu’une « food forest » ?
La ville d’Atlanta a une forêt comestible à Browns Mill [Sud d’Atlanta]. C’est la plus grande forêt comestible urbaine des États-Unis – 9 acres [3,6 hectares]. Dans cet espace, on trouve des aliments comestibles : différents types de baies, de noix, de champignons, et on y injecte également davantage de lits de jardin surélevés, de lits pour pollinisateurs, d’infrastructures vertes, et les organisations communautaires en assurent l’intendance. La ville est donc propriétaire du terrain, mais c’est en collaboration avec la communauté qu’elle s’occupe directement de l’élimination des espèces envahissantes, des plantations, des distributions et du programme.
C’est donc le retour du glanage…?
Exactement : c’est le retour du glanage, c’est le retour à la terre. Il est aussi question d’éducation et de sensibilisation. On doit être visible quand il s’agit d’agriculture urbaine. On doit être transparents. Les gens ont besoin de voir, de toucher, de sentir. Les forêts comestibles urbaines leur donnent la possibilité de retourner à la nature et de participer.