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Anne Pauly

Auteure
Août-Octobre 2024

  • Littérature
  • Atlanta

« L’imaginaire littéraire des Appalaches est travaillé par la beauté sauvage d’une nature parfois hostile mais favorable aux cœurs farouches »

Les raisons pour lesquelles on se met à écrire sont mystérieuses et se révèlent parfois après bien des années. C’est ce qui s’est passé pour moi. J’avais le désir d’écrire depuis l’enfance mais dans mon milieu, écrire était destiné à une élite inatteignable. J’ai donc rangé ce rêve puis me suis lancée dans des études de littérature. L’enseignement ne me tentant guère, j’ai ensuite exercé divers boulots avant d’obtenir un diplôme de journalisme. Parallèlement, et comme en écho à mon propre sentiment d’illégitimité, je me suis plongée dans la pop culture, le féminisme, les cultures queer, l’underground et les écritures de la marge, trouvant enfin dans les replis de ces dernières, des voix vives qui me ressemblaient : les voix singulières, tragiques ou drôles, des déclassé·s, de humilié·es, des malchanceux·ses, des losers magnifiques et des inadapté·es du capitalisme narratif. Et puis, à la quarantaine, après un passage par un master de création littéraire, je me suis enfin autorisée à laisser sortir cette voix qui vivait en moi et j’ai trouvé ma juste place dans ce monde. Mon premier livre, Avant que j’oublie, roman tragi-comique sur le deuil d’un père et la revanche sociale a reçu un excellent accueil et m’a confirmée dans ce désir d’écrire et d’explorer ma propre langue qui se situe quelque part entre émotion et truculence, humour et jubilation du langage. Depuis, j’ai écrit des nouvelles, des préfaces et des textes pour le théâtre et la télévision. Dans ces nouveaux écrits ont ressurgi les motifs qui ont présidé à l’écriture de mon premier livre : d’abord le désir de « venger ma race », selon la formule d’Annie Ernaux et celle des déclassés du monde, mais aussi celui de souligner la poésie que dégagent les univers modestes.  

 

Née en 1974, Anne Pauly est écrivaine et travaille à Paris. Son premier roman, Avant que j’oublie (éd. Verdier), paru en 2019, roman tragi-comique sur le deuil et la revanche sociale, a reçu le Prix du livre Inter 2020 et le prix Robert Walser 2020. Elle a depuis écrit des nouvelles pour plusieurs revues, des textes pour une série de fiction télévisée et une pièce pour le Centre dramatique National Besançon Franche Comté. Elle termine actuellement un deuxième roman et travaille à une pièce de théâtre à huit mains avec Virginie Despentes, Paul B. Preciado et Julien Delmaire pour le Théâtre du Nord.  

Mon projet pour la villa Albertine est d’explorer l’imaginaire littéraire du sud des Appalaches. En 2018, alors que j’écrivais un article sur la pop star Dolly Parton,et que je me documentais sur le parcours de cette icône féministe working-class dont l’œuvre célébre la dignité des humilés de tous horizons, j’ai découvert l’histoire sociale et culturelle des Smoky Mountains et de l’Est du Tennesse  et son imaginaire singulier. Un imaginaire travaillé par la beauté sauvage d’une nature parfois hostile mais favorable aux cœurs farouches, structuré par un rapport singulier à l’espace et un sentiment d’appartenance emprunt de nostalgie. Un imaginaire également marqué par l’isolement et les conditions de vie historiquement difficiles de ces mountain people -travailleurs ruraux, ouvriers ou mineurs -, rendues supportables par une très riche et forte tradition orale et musicale. Un imaginaire, enfin, contaminé par le stéréotype délétère du « hillbilly » – cet homme blanc pauvre, arriéré, violent, crédule et raciste - que de nombreux artistes, écrivains, poètes, sociologues et historiens se sont employés à défaire au fil des générations. Au moment où, à la fin des années 60, Parton s’échappait de ces collines pour devenir une chanteuse adulée, portant la voix de ses pairs et travaillant à défaire les clichés, a surgi, de différents lieux des Appalaches, toute une génération de poètes et de romanciers, ont créé un mouvement d’« études appalachiennes » pour questionner l’image distordue de la région et construire une réflexion plus juste sur son histoire et sa diversité. Mais en 2016, quand Donald Trump gagna les élections, l’Amérique citadine, cherchant des coupables, blâma à nouveau les Appalachiens, pour la situation politique, réactivant ces stéréotypes. Et à nouveau, historiens, sociologues, poètes et écrivains se rassemblèrent pour déboulonner les clichés, produisant ce faisant un paysage littéraire contemporain riche et nuancé que j’aimerais explorer. 

Pour appréhender cet environnement littéraire et artistique contrasté, sur un trajet qui me mènera de la Géorgie à la Virginie Occidentale en passant par le Tennessee, le Kentucky et la Caroline du Nord, je prévois de rencontrer des spécialistes de l’histoire sociale et littéraire des Appalaches mais surtout d’engager un dialogue avec des écrivains, poètes et storytellers locaux, m’appuyant notamment sur la vitalité des revues et des festivals mais aussi sur un réseau littéraire très actif. Ce dialogue me semble d’autant plus important que peu d’auteurs de cette vaste région sont traduits en français – on pense par exemple à Ron Rash, Mesha Maren, Barbara Kingslover ou David Joy. Rencontrer des écrivains plus confidentiels, issus de diverses communautés, collecter leurs histoires et garder, dans mes propres écrits et dans un podcast dédié, la trace de leur travail, de leur pratique, de leur vision, et des lieux qu’ils chérissent pourrait contribuer à mieux les faire connaître du public français. Ces rencontres me donneront aussi l’occasion de secouer mon propre imaginaire, celui que j’ai de cette Amérique rurale et reculée et que j’ai construit autour des œuvres de Chris Offut, Raymond Carver, Larry Brown ou bell Hooks. Dans un autre ordre d’idées, voyager en voiture à travers ces états me permettra d’éprouver dans ma chair ces paysages sauvages aussi magnifiques qu’inquiétantsde nombreux films horrifiques ont ces forêts pour décor - et de mieux comprendre la façon dont les hommes s’y sont installés, y vivent, les ont transformés, préservés ou parfois défigurés.  

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