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Emily in Paris en Louisiane : au-delà des clichés

Par Joseph Dunn

Au Bingo des clichés, la série à succès Emily in Paris coche toutes les cases des stéréotypes sur les Français vus par les Américains. À l’occasion du mois de la francophonie, Joseph Dunn propose ici de suivre Émilie en Louisiane, mais une Émilie qui se détournerait des idées reçues pour un récit de voyage qui revient sur les racines de la Nouvelles-Orléans, et les langues qu’on y parle.

La mention de la série Netflix Emily in Paris dans un groupe de discussion en ligne suscite toutes sortes de réactions par rapport aux stéréotypes et idées reçues sur les Français, ou plutôt, les Parisiens. Tout est là – la Tour Eiffel, la mode, les cigarettes, le vin, les relations extra-conjugales, le dédain envers les Américains, etc. Cependant, les scènes de Paris sont magnifiques et font rêver, donnant quand-même envie d’y être, de se plonger dans ce monde imaginé de la haute cuisine, de châtelains farfelus et de très, très beau monde. De quoi faire une carte de Bingo de clichés.

Imaginons donc une série intitulée Emilie en Louisiane, où une Française doit lancer une campagne publicitaire avec plusieurs images et slogans.

Or, dans ce scénario, Emilie devra s’abstenir de toute mention des cocodries (ndlr: terme utilisé en français louisianais pour « crocodile »), des plaques de rue en français, des salles de classe d’immersion française, et des t-shirts portant le dicton « Laissez les bon temps rouler » (sans ‘s’ à ‘bon’, évidemment).

Elle ne visitera pas une table française, elle ne dira pas qu’ils ne sont que très peu à parler la langue de Molière, et elle n’utilisera pas l’anglicisme « Cajun » au lieu de « Cadien ». Elle ne montrera aucune image d’une personne âgée disant qu’elle était punie parce qu’elle parlait français à l’école ni d’un jeune violoneux sur scène à un festival.

Non. Rien de tout ça. Emilie doit chercher à communiquer ce qui se cache en-dessous de la surface des stéréotypes et des idées reçues qui sont projetés sur la Louisiane et les Louisianais depuis trop longtemps par le biais d’un regard américano-anglophone. Elle va découvrir la complexité d’une mosaïque de populations francophones et créolophones bien plus intéressante que la plupart des reportages et articles à son sujet.

Voici une idée du déroulement du tournage…

Scène 1 : Une grosserie à Métairie, banlieue de la Nouvelle-Orléans.

Emilie suit un père et sa fille à l’épicerie. Après avoir rempli leur panier, ils font la queue à la caisse. La caissière, étonnée d’entendre du français et pensant qu’ils sont sûrement des immigrants ou des touristes, leur demande en anglais depuis combien de temps ils sont là, question à laquelle la fille réplique (aussi en anglais) : « depuis le début du XVIIIe siècle ».

Cent ans après l’adoption d’une nouvelle constitution dans l’Etat de Louisiane, qui imposa l’anglais comme seule et unique langue de scolarisation, la surprise de la caissière n’a rien d’exceptionnel, malgré l’ironie de cet échange qui se termine par : « Thank you for shopping at Robért’s », prononcé à la française.

Scène 2 : Une galerie d’art au centre-ville de la Nouvelle-Orléans :

Lors d’une soirée de vernissages et portes ouvertes, Emilie croise un artiste blanc, son cousin noir, et plusieurs autres amis et convives, tous dans la trentaine et quarantaine, discutant de l’exposition en kouri-vini, attirant la curiosité des Américains. Elle est persuadée qu’il s’agit du créole haïten, mais l’un d’entre eux explique que c’est du créole louisianais, parlé en Louisiane depuis le milieu du XVIIIe siècle, né du mélange des langues africaines parlées par les esclavisés, avec les variétés de vernaculaires des français non-standardisés présents à l’époque. C’est du pur louisianais.

Scène 3 : Un village au sud-ouest de la Nouvelle-Orléans :

C’est en bas du bayou qu’Emilie fait la connaissance d’une activiste amérindienne. Depuis le passage de l’ouragan Ida en août 2021, elle organise, délègue, et dirige des équipes de bénévoles, le tout en anglais. Or, avec Emilie, elle revient à un français riche en textures et patines, porteur de plusieurs siècles d’une vie façonnée dans les marécages, où l’eau et la terre se marient en prairies tremblantes autrefois parsemées de chênières.

Scène 4 : Un parc national aux Natchitoches

Emilie a rendez-vous avec l’un des gardiens du parc. Avec lui, elle fait le tour de l’ancienne plantation de coton en discutant du rôle des colons français, des esclavisés créolophones et de leur dépendance aux connaissances des Amérindiens pour survivre. Elle apprend que les colons européens transcrivaient les noms des tribus en français, donnant une forme écrite aux mots Natchitoches, Opélousas, Tchoupitoulas, Avoyelles et Atakapas, entre bien d’autres. Dans la forêt avoisinante, Emilie fait une promenade pour cueillir des feuilles de sassafras et, seul cliché permis, elle fait un gombo filé.

Scène 5 : Un studio de production à Lafayette

C’est un jeune Créole, afro-descendant et au nom de famille d’origine acadienne, entrepreneur dans le domaine des médias, qui reçoit Emilie dans son studio. Ensemble et par le biais des images et de la cinématographie, ils explorent les contradictions liées aux idées de race, de ségrégation, et de revendication de la langue française. Emilie découvre un monde parallèle, inconnu même des Louisianais assimilés en anglais et américanisés, où les labels identitaires « Créole » et « Cadien » ne correspondent ni à la langue parlée ni aux définitions imaginées ailleurs.

Scène 6 : Un balcon dans le Vieux Carré de la Nouvelle-Orléans

Après le passage d’une avalasse estivale du mois de juillet, Emilie s’assied sur un balcon au cœur du Vieux Carré pour discuter d’un film de super-héros Franco-Louisianais. Le personnage principal, joué par un musicien d’une certaine renommée, fait le fou, s’habille de façon étrange. Oui, un super-héros louisianais qui parle français pour briser tous les stéréotypes.

Scène 7 : Une archive

Emilie rencontre une chercheuse sur la piste de l’identité d’un adolescent esclavisé. Son image sur un tableau du XIXe siècle (Four Children in a Louisiana Landscape, de Trevor Thomas Fowler), fut récemment dévoilée après avoir été complètement obscurcie pour cacher sa présence parmi les enfants blancs, possiblement ses frères et sœurs biologiques. La figure de ce garçon révèle à Emilie le fait que ce que l’on apprend sur la Louisiane a toujours cherché à occulter la présence et l’influence africaine sur l’histoire et la culture louisianaise. 

Scène 8 : De retour à Paris

Débordante d’enthousiasme de partager ses extraordinaires découvertes, en anecdotes et en images, avec la rédactrice en chef de sa boîte de comm, Emilie soumet un premier brouillon. À la lecture du texte proposé, celle-ci, parfaitement fringuée en tailleur Chanel avec la Tour Eiffel visible dans la fenêtre derrière elle, exige une totale réécriture du scénario. Les clients de la boîte veulent finalement des cocodries.

 

Franco-Louisianais, Joseph Dunn se dévoue au développement culturel et aux relations internationales en Louisiane. Il était responsable des industries culturelles au Consulat Général de France à La Nouvelle-Orléans, avant de rejoindre COFODIL, le Conseil pour le développement du français en Louisiane.

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