Sylvia Amar
Curatrice, productrice, chercheure en histoire de l’architecture
Printemps 2025
- Architecture
- San Francisco
« Mieux habiter la Terre pourrait commencer par la promesse de l’Architecture à la Nature de se repenser comme faisant partie du vivant. »
Je suis née à Marseille. J’en suis partie. Suffisamment pour y revenir. Les territoires décentrés sont des terres de projets et d’alternatives, rien n’y est simple, tout y est possible. J’ai toujours eu la conviction que la création et la société contemporaine sont intimement liées. Je le suis toujours. Produire des œuvres et des expositions est une façon de le démontrer au quotidien.
Si la nature de l’espace porte le sens de mes actions, la recherche éclaire bien des aspects de mon parcours et de mes engagements. Ce champ de prospectives m’a permis de comprendre qu’interroger le monde communautaire et ses productions architecturales relève d’un détour pour explorer une histoire familiale où migration rime avec quête d’une vie meilleure.
La recherche est aussi une pratique de création. On peut y dialoguer avec tous les champs de la pensée humaine. Tous les savoir-penser et les savoir-faire sont là, disponibles pour ouvrir des espaces de réflexion, poursuivre et nourrir des convictions. La recherche est un territoire de découvertes et c’est sur l’une d’entre elles, l’œuvre de l’architecte américain Sim van der Ryn, que s’est construit mon projet pour la Villa Albertine.
A découverte, j’ajoute volonté de partage. Devant l’urgence de nos sociétés à retrouver une cohérence entre modes de vies et modes d’Habiter, il me semble nécessaire de mettre en évidence les ressources conceptuelles et techniques existantes. Alternatives, ces ressources le sont, et n’est-ce pas de cette guérison écologique dont nous aurions profondément besoin ?
Mon projet pour Villa Albertine est de traduire en français un choix de textes de l’architecte américain Sim van der Ryn portant sur son concept d’Ecological Design.
L’œuvre écrite et construite de Van der Ryn fut pour moi une véritable découverte. La première rencontre, je la dois à un travail de patience. C’est en remontant le temps à travers les archives d’une revue d’architecture française que je tombe sur son article L’Avènement du Natural Design (1975). Instantanément, ce texte apporte un éclairage inédit sur trois années de recherche et une ouverture à mes conclusions de thèse en cours de rédaction. Ma curiosité est à vif. Je m’attends à dénicher un fil d’information conséquent, et c’est tout le contraire qui se produit. Alors que je prends la mesure de l’œuvre écrite et construite de Van der Ryn, je constate combien elle est peu connue. L’idée de la traduction s’impose.
Plusieurs points sont particulièrement pertinents dans son œuvre, à commencer par son aptitude instinctive à rétablir des continuités entre le penser et le faire qui l’inscrit indéniablement dans la philosophie américaine de la démonstration par l’action. Ainsi, Van der Ryn est autant un concepteur qu’un constructeur et un auto-constructeur. Il est aussi enseignant et écrivain.
Peu connue et inexploitée, aux Etats-Unis comme en Europe, l’œuvre de Sim Van der Ryn témoigne depuis les années 1970 d’un engagement de la première heure pour une architecture et, plus largement une pensée, écologique d’une grande pertinence au regard des enjeux actuels.
La clarté conceptuelle de son œuvre m’incite à positionner mon projet pour la Villa Albertine comme une première étape vers la connaissance d’un acteur essentiel de la scène alternative américaine, et de l’ensemble de son œuvre comme une ressource historique, notamment pour les jeunes architectes en formation.
Traduire n’est pas seulement favoriser le passage d’une langue à une autre, mais bien créer des espaces de compréhension mutuelle, de transformation de ressources en richesses communes.
Si la découverte du continent américain trace les premières cartographies de la mondialisation, l’histoire des Etats-Unis est une histoire nationale nourrie de transferts culturels incessants avec l’Europe dès la fin du 17e siècle.
Dessinant une géographie qui relie les échelles mondiales, régionales et locales, le parcours de Sim van der Ryn illustre parfaitement ces dynamiques d’émergence, d’échange et de transformation. Néerlandais d’origine, Van der Ryn arrive à New York avec une famille meurtrie par la deuxième guerre mondiale. Jeune architecte, il quitte la prestigieuse agence qui l’embauche pour un petit bureau à San Francisco. Sa migration vers l’Ouest lui permet de rejoindre la dernière frontière, un lieu mythique où le désir de sortir des cadres d’une profession centrée sur l’héritage moderne pourra s’exprimer.
La dynamique contre-culturelle de la Californie sera la terre d’ancrage et d’épanouissement de ses aspirations. Et parmi les multiples expériences socio-spatiales connues sur ce territoire, Sim van der Ryn fait rapidement partie des acteurs qui embrassent la mouvance biorégionale, se souciant davantage de la réussite de leurs actions, que de leur succès d’estime. Peut-être est-ce là une des causes de la faible diffusion de son œuvre ? Rencontrer Sim à nouveau, ainsi que certains de ses collaborateurs et de ses étudiants, échanger avec les rares chercheurs ayant écrit sur son œuvre, cela fait pleinement partie du projet de cette résidence.
Sylvia Amar est curator-productrice en arts visuels et chercheure en histoire de l’architecture. Elle a créé et dirigé le Bureau des compétences et désirs (1994-2011), puis a été Responsable du Département de la Production du MUCEM (2011-2022, www.mucem.org/), et dans ce cadre co-commissaire de l’exposition permanente, Connectivités (2017-2023).
Elle est membre associée au Laboratoire INAMA (ENSA Marseille) et du Global Ecovillage Network Research Lab. Sa thèse de doctorat s’intitule Laboratoires d’architectures écotopiques, des communautés d’hier aux écovillages d’aujourd’hui – Etats-Unis-Europe, 1965-2015 (soutenance 2020 – direction J.L Bonillo et A.Picon).
En partenariat avec
Sim van der Ryn’s Estate
Editions Wildproject
Wildproject est une maison indépendante qui se consacre à l’écologie – entendue comme une révolution culturelle et politique des sociétés modernes. Depuis sa création en 2008, la maison défend en effet une certaine vision de l’écologie comme un mouvement successivement (et à la fois) scientifique, social, politique et philosophique. L’écologie comme un mouvement bientôt centenaire, d’une ampleur comparable à la Renaissance.