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Marine Kisiel

Historienne de l'art, conservatrice du patrimoine
Janvier et juin 2025

  • Musées
  • New York
  • San Francisco

«  Je crois fermement que les musées n’ont de sens que lorsqu’ils n’isolent ni le passé ni ses productions des questions que nous nous posons au présent, et je compte, grâce à cette résidence Albertine, œuvrer à visibiliser les identités queer du passé dans les musées de mode. »

Je suis historienne de l’art de formation et conservatrice du patrimoine depuis dix ans. Particulièrement nourrie par la proximité des œuvres, j’ai commencé ma carrière en me spécialisant dans l’étude des arts du XIXe siècle occidental : un siècle vif, à la fois péremptoire et incertain, dont la farouche vitalité politique et sociale me passionne d’autant plus qu’elle pose les bases – bonnes et mauvaises – de nombre de réalités dans lesquelles nous vivons aujourd’hui.  

Après m’être consacrée aux beaux-arts de la IIIe République, avec un regard appuyé du côté des arts dits mineurs, si importants pour questionner les hiérarchies, j’ai fait le choix d’approfondir ma pratique d’une histoire culturelle et sociale au contact de nouvelles collections. Loin des « grands artistes » dont les œuvres étaient au cœur de mon quotidien de conservatrice au musée d’Orsay, je suis aujourd’hui en charge du département de mode XIXe siècle au Palais Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris. Là, les vêtements de femmes et d’hommes le plus souvent anonymes, de milieux variés, invitent à sonder ce que l’enveloppe matérielle de ces corps disparus dit de leur temps, de leur propre agentivité, de leurs projections comme des cadres dans lesquels elles et ils ont évolué.  

C’est, ainsi, à une autre histoire des représentations que je me dédie désormais : celle des mises en forme des individus, témoignages incontournables pour saisir leurs représentations d’eux-mêmes et du monde auquel ils ont pris part, sans lesquelles il me semble que l’histoire des formes, de même que les musées, ne peuvent jouer pleinement leur rôle au sein de nos sociétés contemporaines. Je crois fermement que les musées n’ont de sens que lorsqu’ils n’isolent ni le passé ni ses productions des questions que nous nous posons au présent, et je compte, grâce à cette résidence Albertine, œuvrer à visibiliser les identités queer du passé dans les musées de mode. 

 

Marine Kisiel est docteure en histoire de l’art et conservatrice du patrimoine, chercheuse associée au laboratoire InVisu (CNRS/INHA). Anciennement conservatrice au musée d’Orsay, où elle a été commissaire dexpositions internationales, puis corédactrice en chef de la revue Perspective (INHA), elle est depuis 2022 en charge du département de mode XIXe siècle du Palais Galliera, musée de la mode de de Paris. Elle y prépare les expositions « Corps in·visibles» (musée Rodin, 2025), « Worth » (musée du Petit Palais, 2025) et « Dandykes. Le dandysme au féminin au XIXe siècle » (Palais Galliera, 2026). Sa thèse, La peinture impressionniste et la décoration (Le Passage, 2021), a reçu le prix Olga Fradiss de la Fondation de France et le prix Bernier de l’Académie des Beaux-Arts.  

Je travaille actuellement à une exposition sur le dandysme au féminin au XIXe siècle : une exposition de mode, qui retracera la dynamique de masculinisation de la mode féminine pendant la période, mais aussi une enquête sur les régimes de visibilité des identités queer à une période peu explorée par les historien.nes, qui va de la fin du XVIIIe au début du XXe siècle. En observant les pratiques vestimentaires des femmes de cette époque, j’entends retracer les dynamiques d’émancipation et d’affirmation des corps et des identités à travers des signaux faibles (tels que des emprunts ponctuels à la mode masculine) et des typologies de vêtements spécifiques (ainsi de la tenue d’amazone, par exemple). Je compte également observer des pratiques liées à la scène ou à des espaces sociaux moins exposés (le cross-dressing), et tenter de cartographier les stratégies d’identification par le vêtement qui feront émerger, je l’espère, les codes de la mode lesbienne du XIXe siècle.  

Une telle enquête, fondée sur l’étude de témoignages matériels mais ouvrant à la compréhension de dynamiques sociétales oubliées ou passées sous silence, est avant tout un projet situé : indissociable, en l’occurrence, du contexte qui lui permet de voir le jour, celui des musées de mode, et de la volonté de donner aux questions de genre un traitement muséal accessible et exigeant, qui participe à élargir les représentations de nos contemporain.es par l’étude du passé et de ses résonnances aujourd’hui.  

Cette exposition sur le dandysme au féminin sera la clé de ma résidence à la villa Albertine : un terrain d’explorations historiques et sociétales qui me mènera au contact de collègues américain.es – conservateur.ices, universitaires, archivistes, collectionneur.euses, etc. – dans deux villes importantes pour les luttes LGBTQIA+ et la conservation de la mode, New York et San Francisco. Tout en approfondissant mes recherches, j’échangerai avec mes collègues américain.es de leurs manières de faire vivre les collections de mode de leurs musées, et chercherai à mieux comprendre comment et avec quels résultats ils s’emparent des enjeux de société, notamment queer, afin de nourrir par-là ma propre pratique. 

Mon séjour se partagera New York et San Francisco. À New York, certainement la ville qui compte, au monde, le plus de musées et de départements universitaires dédiés à la mode, je souhaite engager des discussions avec mes collègues conservateur.ices et chercheur.euses au sujet du développement des musées de mode, mais aussi mener des recherches pour l’exposition que je prépare sur le dandysme au féminin au XIXe siècle. Les orientations prises par le Costume Institute du Metropolitan Museum et le Museum at FIT ont en effet beaucoup nourri le projet « Dandykes ! », notamment à travers deux expositions pionnières abordant des questions de genre, d’identité et de sexualité au prisme de la mode : A Queer History of Fashion (Museum at FIT, 2013) et Camp. Notes on Fashion (2019 Metropolitan Museum, Costume Institute).  

À San Francisco comme à New York, j’explorerai par ailleurs les fonds d’archives et les ressources communautaires permettant d’affiner la compréhension du phénomène que j’étudie, non sans tisser des ponts avec les pratiques vestimentaires queer plus proches de nous. Le Leslie Lohman Museum de New York, les Lesbian Herstory Archives de Brooklyn, ou à San Francisco la GLBT Historical Society, le James C. Hormel LGBTQIA Center et la bibliothèque de l’université de Stanford, entre autres, ainsi que les collectionneur.euses et activistes de ces deux villes majeures pour les communautés LGBTQIA+, me permettront d’agrandir mon champ de vision et de nouer, de recherches en rencontres, des liens avec de nombreux interlocuteur.ices et partenaires.  

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