Léonard Matton
Créateur d'immersions
Janvier-février 2026

- Arts de la scène
- Boston
« Depuis 2020, c’est la révolution de l’IA qui m’interroge et son corollaire, la question du libre arbitre : comment appréhender artistiquement des LLM en les faisant « jouer » face à des interprètes vivant, comment tracer les limites de ce que les IA peuvent provoquer sensiblement en chaque personne assistant à une œuvre augmentée. »
J’aime à créer des immersions qui permettent d’observer les œuvres spectaculaires depuis différents points de vue. Tout y est ambivalence. Je suis né dans l’atelier d’un artiste qui sculptait des intérieurs réduits qui, par leur tridimensionnalité, provoquaient l’incertitude et le e vertige lorsqu’on les observait : jeux de reflets, d’ombres et de lumières, miroirs sans tain et vidéo. Cette perception diffractée en multiples facettes comme autant d’apparences a forgé mon esthétique. Tout est polysémique dans l’immersion : le lyrisme s’entremêle au rire, l’érudition joue avec le populaire : rien d’étonnant à ce que Shakespeare m’ait bercé comme une langue maternelle
J’ai connu, enfant, la magie des tournages de cinéma, mais c’est la boite noire du théâtre qui m’a attiré : faire naître du néant obscur un univers à travers les grands poèmes dramatiques ; ciseler les êtres vivants pour les rendre plus réalistes que nature : depuis vingt ans je demande aux interprètes de franchir le mur invisible, de venir interagir avec les autres êtres humains présents, le public, pour mieux tendre un fil universel d’éternité, entre le passé des mots et le présent de l’action.
En parallèle, les bouleversements de la révolution numérique me fascinent : une nouvelle frontière à repousser qui donne lieu à de nouveaux récits. Dans un texte de 2019, HPNS je traitai de liberté et de piraterie – mythes ancestraux – à travers l’anonymat sur le net et la finance décentralisée. Depuis 2020, c’est la révolution de l’IA qui m’interroge et son corollaire, la question du libre arbitre : comment appréhender artistiquement des LLM en les faisant « jouer » face à des interprètes vivants ? Comment jouer avec les limites de ce que les IA peuvent provoquer sensiblement en chaque personne assistant à une œuvre augmentée ?
Diplômé de l’Université Paris VII, Léonard Matton est formé en théâtre à la British and American Drama Academy à Oxford puis par Raymond Acquaviva. Passionné par le renouvellement des formes scéniques, il crée en 2018 le premier lieu éphémère dédié aux spectacles immersifs, Le Secret Paris. Il travaille actuellement en immersif sur une adaptation de L’Odyssée et sur une pièce traitant des impacts du cyber-harcèlement. Ses adaptations immersives de Shakespeare, Helsingør et Le Fléau, sont éditées à l’Avant-Scène Théâtre, ainsi que, en 2022,HPNS, marché pirate sur le darknet et, en 2025, un ouvrage de méthode : Le Théâtre immersif. Il est artiste associé à l’Université Grenoble-Alpes jusqu’en 2025, puis à la scène conventionnée de Nevers, de 2026 à 2028, pour un projet de spectacle immersif, adapté du romanManhattan Transfer, sur la révolution industrielle.
À quinze ans, j’ai découvert le roman Manhattan Transfer de John Dos Passos : coup de poing esthétique. Flux diffracté de perceptions, de couleurs, de sensations, de bruits : j’éprouvai ce style du « courant de conscience » comme un poème qui m’interpelait directement par les sens. L’envie d’adapter ce roman naissait. Mais sur une scène, le récit serait contraint. Au cinéma, les points de vue simultanés seraient trop élagués. Puis en 2018, je créai un premier spectacle immersif, et en 2020 je revins au roman : l’espace éclaté du théâtre immersif, le choix stochastique de chaque membre du public, c’était là la juste façon de rendre ce texte « vivant et actif ». Toutefois il me manquait une forme stylistique concrète qui puisse traduire le bouleversement technologique du roman, situé au début de vingtième siècle, en pleine révolution industrielle. Et en 2022, les IA grand public apparurent : à l’aide de ces outils, le monde du roman – monde qui se mécanise – pouvait devenir une œuvre qui ferait se rencontrer des arts vivants centenaires et des technologies contemporaines ; l’œuvre, en creux, nous interrogerait : les unes broieront-elles les autres ? Chaque personne dans le public fera ses choix, esthétique et politiques, en miroir des questions posées dans le roman sur la gouvernance américaine – qui décrit les luttes sociales des années 1900 à 1920. Pour tout cela, il fallait travailler sur place, sur cette côte orientale des USA, encore proche de l’Europe : que peut-on créer – à la manière du style de Dos Passos – comme collages visuellement modernes, sur la base de films centenaires, d’images, de textes et de données appartenant au domaine public américain ? Comment perçoit-on de l’intérieur d’un pays cette quête de l’augmentation de l’être humain – au risque de l’écrasement de l’humain ? Et qu’apporte à l’œuvre d’art une interprétation vivante – acte esthétique que, je prétends, nulle machine ne pourra jamais sensiblement reproduire ? Ces questions, je les posai au directeur du théâtre dont je deviens artiste associé en 2026, Jean-Luc Revol. Puis le Cube Garges (lieu porteur d’une recherche sur les nouvelles technologies) et la biennale Nemo du Centquatre Paris (qui invite arts et technologies à dialoguer) s’associèrent à ce projet. En janvier 2025, je combinai plusieurs IA pour créer un double numérique – sonore – d’une interprète, et commençai à augmenter l’immersion vivante. Le projet de la Villa Albertine vise à poursuivre ce travail avec les IA génératives d’images et d’images cinématographiques.
Le sujet de ce travail prend racine à Manhattan, dans la mégalopole naissante décrite par John Dos Passos. Donc pourquoi Boston ? D’abord car le MIT Global Shakespeare Project a manifesté son intérêt pour mon travail : grâce au barde anglais, la boucle de mon travail sur l’immersif est refermée et, immergé dans ce cercle « global », je me réjouis de travailler. Les archives urbanistiques et économiques de New York sont facilement accessibles depuis Boston. De même les films du cinéma muet sur lequel le copyright ne s’applique plus, daté d’avant 1930. Cette résidence, je la vois comme un foisonnement de rencontres vivantes, de confrontation avec ceux qui act – dans les deux sens du terme anglais. Qui jouent au théâtre et développent des IA. Si j’avais eu à choisir, j’aurais pu hésiter entre San Francisco et Boston. Mais le monde des startups m’intéressant moins que celui de la recherche universitaire – le théâtre immersif imposant de combiner la pensée à l’action – mon choix se porta vers Boston. La Nouvelle Angleterre porte également les empreintes européennes et, dans mon intention d’éclaircir ce que la pensée américaine apporte aujourd’hui au vieux continent, il fallait poser le pied sur une terre à laquelle je puisse me sentir connecté. Les collèges anglais d’Oxford où j’ai débuté mes études théâtrales ne sont paraît-il pas si différents des universités de Cambridge… Ne reste plus qu’à rencontrer celles et ceux qui voient un intérêt à incorporer la création IA à l’art vivant, un art a priori dé-connecté. Des acteurs du monde du théâtre, de celui de la recherche universitaire, ainsi que celui du mécénat culturel.
En partenariat avec

Le Cube Garges
https://www.lecubegarges.fr/