Julia Bourdet

En 2022 j’ai découvert dans un reportage l’histoire d’une femme qui s’était perchée en haut d’un sequoia géant durant 738 jours. Elle voulait sauver la forêt et elle a réussi. Une question m’a poursuivie pendant des jours : quel est le moment de bascule ? Quand monte-t-on dans un arbre pour n’en redescendre sous aucun prétexte ? Comment garde-t-on la certitude que notre choix et notre action auront un impact ? Est-ce qu’être une femme change quelque chose à cette bataille ? Est-ce que s’impliquer corporellement, c’est être plus fort ? Voilà mon point de départ. 

Je me suis donc lancée dans un périple décarboné, carnet de croquis à la main, en porte-conteneurs, à vélo et en train, sans voiture ni avion, à la rencontre des Américain·es. 

Je suis partie de Rouen, ma ville natale et j’ai descendu la Seine à bord d’une barge vers Le Havre, là je suis montée sur le cargo Marius jusqu’à New York, puis, j’ai alterné entre train et vélo jusqu’à San Francisco, en suivant les lignes mythiques de la compagnie ferroviaire Amtrak. Une fois à San Francisco, j’ai décidé de continuer vers le Sud des États-Unis et de passer par le Texas, la Louisiane, la Géorgie puis la Pennsylvanie. 

Avec mon carnet à dessin, je suis allée à la rencontre d’activistes écoféministes, de communautés intentionnelles et agricoles, de représentants de peuples autochtones, de sorcières, de scientifiques, de burners, d’institutions, d’entrepreneurs, d’ex-prisonniers et même d’enfants. J’ai posé la question de leur propre déclic ou déni, de leur vision de l’avenir et de ce qu’il faudrait changer. En tentant de faire un état des lieux de l’Amérique à l’heure du changement climatique, j’ai également rencontré des questions plus intimes, celle de mes propres désirs, renoncements et dénis. 

J’ai tiré de cette expérience une série de carnets de croquis, d’enregistrements et de photos qui seront la base d’un roman graphique, que j’aimerais construire comme un carnet de bord dessiné qui ne cherche pas de réponses toutes faites mais à poser les bonnes questions. 

Mon périple a commencé sur la Seine, fleuve familier dont j’ai découvert la face industrielle. Je l’ai descendu jusqu’à l’Atlantique à bord d’une barge. Au Havre j’ai embarqué sur le porte-conteneur Marius pour dix jours hors du temps jusqu’à New York. J’ai ensuite rejoint Chicago avec la ligne Lake Shore Limited le long des Grands Lacs, puis Denver à bord du mythique California Zephyr. Avec une jeune réalisatrice, nous avons affronté les Rocheuses à vélo avant de traverser le Colorado, l’Utah et le Nevada en train. À Reno, en plein désert, j’ai bifurqué vers l’Oregon. Le Coast Starlight m’a menée à Eugene, où j’ai découvert des communautés intentionnelles et participé à un rassemblement de sorcières protectrices des forêts. Une fois arrivée à San Francisco, mes rencontres m’ont poussée à prolonger mon voyage. J’ai exploré les ambivalences environnementales du Burning Man et pris part à un road trip en Californie avec une scientifique. Les festivals de musique de San Francisco ont précédé mon départ pour Los Angeles, où de jeunes militants cyclistes m’ont guidée à travers cette immensité de béton. Au Texas, Houston et Austin m’ont éclairée sur le rôle politique des énergies fossiles et de la tech sur le territoire entier. En Louisiane, à Lafayette, j’ai découvert la culture Cajun et l’héritage français avant de descendre le Mississippi à vélo par la cancer alley vers La Nouvelle-Orléans. Entre Halloween et le dia de los muertos, j’ai vécu l’élection de Donald Trump, puis j’ai remonté la côte Est jusqu’à New York en passant par Atlanta. J’ai fini par le début : à Philadelphie, berceau des États-Unis, où j’ai pu me plonger dans l’histoire complexe du pays. De retour sur le Marius c’est un nouvel équipage et un nouveau rythme qui m’ont doucement ramené vers la France.