Anne De Fornel

Mon projet pour la Villa Albertine se centre sur l’étude de la carrière protéiforme de Nadia Boulanger dans une perspective historique, sociale et poïétique, tout en proposant des analyses approfondies de ses compositions encore trop méconnues. Il s’agira aussi d’analyser le combat qu’elle a mené en tant que femme dans ses multiples activités (pédagogue, pianiste, organiste, cheffe, compositrice, critique musicale, conseillère artistique), de comprendre son héritage pédagogique et de montrer comment elle a servi d’exemple pour les générations d’artistes féminines qui ont suivi.  

Œuvrer à la valorisation du matrimoine musical constitue pour moi une mission essentielle pour lutter contre l’invisibilisation et la minorisation des compositrices, ces laissées-pour-compte de l’histoire de la musique. C’est un privilège de pouvoir étudier et déchiffrer des manuscrits de compositrices, de les évaluer et de contribuer à les faire connaître. Au niveau des programmations, le pourcentage d’œuvres de compositrices reste extrêmement faible et il s’agit bien souvent des mêmes créatrices. Pourtant, il existe une profusion de fonds d’archives accessibles et les bases de données dédiées sont une aide considérable. Il faut aujourd’hui que le champ musicologique dans son ensemble contribue à cette reconnaissance. 

En tant que musicienne et chercheure franco-américaine, je m’intéresse à l’évolution des enjeux liés au genre dans le milieu de la musique classique en France et aux États-Unis. Le cas de Nadia Boulanger est particulièrement intéressant puisque, parallèlement à sa carrière en France, elle a développé des liens institutionnels étroits et pérennes aux États-Unis. En attestent les multiples tournées de concerts et de conférences qu’elle a réalisées, mais aussi les nombreux cours qu’elle a dispensés dans de prestigieuses universités. N’oublions pas non plus qu’elle a été la première femme à diriger le Boston Symphony Orchestra et le New York Philharmonic Orchestra. Je souhaite ainsi engager une réflexion qui lie dialectiquement différentes questions: à défaut d’une posture féministe assumée et clamée, comment est-elle parvenue à occuper un rôle de premier plan en tant qu’artiste femme dans ces deux pays? Qu’a-t-elle dû surmonter pour parvenir à développer une brillante carrière et quelles différences a-t-elle perçues entre les deux pays? Est-elle aujourd’hui encore un modèle pour les nouvelles générations de musiciennes françaises et américaines ? Cette résidence à la Villa Albertine me permettra de consulter des sources indispensables à l’avancée de ce travail de recherche: la collection Nadia Boulanger à l’Eda Kuhn Loeb Music Library à l’Université de Harvard, ainsi qu’à la Library of Congress à Washington. Enfin, à une échelle plus macroscopique, je souhaite analyser la place qu’occupe l’étude des compositrices au sein des cursus universitaires et musicaux à Boston et Washington.