Les couleurs du Mississippi
Par Nicolas Floc'h
« Les fleuves, concentrés d’histoire des peuples et des civilisations, représentent le rapport à notre milieu et sont une connexion directe à l’océan. » À travers ses clichés capturant la couleur de l’eau, le photographe Nicolas Floc’h nous emmène le long du Mississipi et documente l’impact des hommes sur leur environnement. Plongeon chromatique au cœur d’un des deltas les plus riches et fascinants de la planète.
Mon étude des paysages et habitats sous-marins, de leur rôle et productivité dans l’équilibre des écosystèmes, m’a amené à documenter le paysage le plus commun : l’espace de la « colonne d’eau », l’eau elle-même. L’océan représente l’essentiel de cette substance vitale. Il est la machine du vivant, du climat, et interagit constamment avec la terre, les glaces et l’atmosphère. En effet, le grand cycle de l’eau implique une évaporation constante à la surface des mers et des continents. Cette eau atmosphérique vient irriguer les terres, nourrir les glaces. En s’écoulant, elle se charge en sels minéraux, en sédiments, en matières organiques, s’infiltre dans la couche terrestre, vient fertiliser les eaux des rivières et des océans. Ces flux, réseaux hydrographiques traversant les territoires, apportent la vie et se chargent aussi de la vie des hommes impactant toujours davantage les milieux.
Le projet Fleuves-Océan tend à compléter la lecture que nous avons de l’océan mais à partir de la terre, espace complémentaire et nourricier, révélant le rapport symbiotique des milieux. La couleur de l’eau, la géomorphologie des paysages, l’anthropisation sont autant d’éléments nous permettant de lire notre environnement.
Fleuves-Océan propose d’explorer ces flux en partant de la source à l’embouchure, des lignes de partage des eaux aux bassins versants, et de traverser les territoires à partir des chemins empruntés par l’eau jusque dans les entrailles de la Terre.
Le Mississippi, tel un arbre planté au centre des États-Unis, draine les terres d’une grande partie du territoire. Au nord, la source est un lac glaciaire dans le Minnesota. Il nous raconte les origines de ce flux glissant vers le sud jusqu’à la Louisiane, aux eaux du golfe du Mexique. La source doit être complétée géographiquement par les sources, les flux et les territoires des principaux affluents qui nous emmènent des Rocheuses aux Appalaches. La couleur de l’eau à l’embouchure du fleuve charrie la terre venue du nord, de l’est, de l’ouest. Elle vient fertiliser l’océan en se diluant dans le bleu de ses eaux, mais également transforme le milieu par les rejets anthropiques conduisant à l’eutrophisation des eaux côtières.
Les fleuves, concentrés d’histoire des peuples et des civilisations, représentent le rapport à notre milieu et sont une connexion directe à l’océan. La dimension vitale des fleuves nous a menés à en habiter les rives, mais ils deviennent également, avec l’atmosphère, un des principaux vecteurs de la diffusion des polluants, de nos excès, un symbole de notre rapport inversé au monde où le flux vital rend chaque jour notre avenir plus fragile.
Pour cette première partie de la résidence « Villa Albertine », je viens de passer plusieurs semaines à sillonner le delta du Mississippi. Mon objectif était de travailler sur le delta du fleuve, principalement sur la couleur de l’eau depuis l’espace subaquatique, mais aussi d’arpenter les bayous, anciens lits du Mississippi. Avec mon guide, Richie Blink, nous avons parcouru près de 1000 km en bateau dans le delta, le golfe du Mexique, les bayous et les swamps (forêts marécageuses). La zone explorée se situe entre Bâton-Rouge, le delta du Mississippi depuis Empire, Venice, les bayous, le delta de L’Atchafalaya qui draine 30% du flux du fleuve et le golfe du Mexique.
La grille principale réalisée entre le fleuve et l’océan est un transect avec des profils verticaux qui s’étend sur 100 km en une quarantaine de points, espacés de plusieurs kilomètres chacun. Chaque profil photographique peut être assimilé à un carottage dans la colonne d’eau nous donnant des indications, à partir de la couleur, sur le vivant, l’organique et le minéral qui s’y trouvent. L’ensemble de ces photographies assemblées sous forme de lignes, de colonnes ou de grilles, respectant l’ordre de prises de vues, représente une coupe dans les masses d’eau. Nous passons des sédiments et des matières organiques dissoutes du fleuve (rouges, oranges et jaunes) au vert des phytoplanctons, avant de retrouver les zones bleues plus pauvres au large.
Villa Albertine / Fondation Camargo.
En partenariat avec Artconnexion, Lille / Fondation Daniel, et Nina Carasso.
©Nicolas Floc’h / ADAGP 2022