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Par Léa Hirschfeld by Dalia Rubinstein
Léa Hirschfeld, résidente de la Villa Albertine, est la créatrice du podcast Décalés qui met en lumière les différentes dimensions du handicap – intellectuel, physique et mental – et raconte à la fois l’expérience vécue du handicap tout comme les expériences des proches. Pendant sa résidence, Léa a voyagé à travers les États-Unis, découvrant comment se vit le handicap à travers le pays et partageant les histoires découvertes sur son chemin.
Le 26 juillet 2023 marque le 33ème anniversaire de l’Americans with Disabilities Act (ADA, « Loi relative aux américains avec un handicap »), une loi qui accorde des protections juridiques essentielles aux américains atteints d’un handicap. Ces dernières années, la place laissée aux personnes handicapées dans la société est devenue une thématique de plus en plus présente dans les œuvres artistiques : lors de la cérémonie des Oscars 2022, l’acteur Troy Kotsur a marqué l’histoire en devenant la première personne sourde à remporter l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour le film CODA (Child of Deaf Adult, « Enfant d’adulte sourd, » adaptation américaine du film La Famille Bélier de 2014), qui a remporté l’Oscar du meilleur film la même année. Pourtant, le sujet du handicap reste souvent tabou et, malgré d’importantes avancées, la marge de progrès est considérable.
Léa Hirschfeld, résidente de la Villa Albertine actuellement basée à Paris, est la créatrice du podcast Décalés. Né d’une expérience personnelle, son podcast vise à mettre en lumière les différentes dimensions du handicap – intellectuel, physique et mental – et raconte à la fois l’expérience vécue du handicap tout comme les expériences des proches. Pendant sa résidence, Léa a voyagé à travers les États-Unis, découvrant comment se vit le handicap à travers le pays et partageant les histoires découvertes sur son chemin. À travers sa résidence, le podcast de Léa deviendra bilingue, racontera de nouvelles histoires et touchera de nouveaux publics. Léa et moi avons parlé de son projet, de son séjour à la Villa Albertine et de la manière dont le podcast peut apporter une nouvelle forme de reconnaissance, de réconfort et de parole à ceux ayant un handicap.
Votre projet aborde un sujet profondément personnel. Quels sont vos premiers souvenirs du handicap ?
J’ai grandi avec un grand frère atteint d’un handicap cognitif. C’était ma norme, mais je constatais bien que personne autour de moi n’avait de frère ou sœur comme le mien. Lorsqu’on est enfant, on est conscient de toutes sortes de choses que les adultes pensent que l’on ne remarque pas encore. J’étais invitée à des fêtes d’anniversaire, alors que lui ne l’était pas. J’ai pu aller à l’école publique du quartier, mais nous n’avons pas pu trouver d’école pour lui. Les espaces publics comme le métro ou le supermarché représentaient un réel défi. Il lui était difficile d’apprendre et de comprendre les codes sociaux. C’est à ce moment-là que, en tant que proche, l’on est confronté au regard des autres. Certaines personnes le comprennent, d’autres non. Cela peut être très difficile.
Selon vous, qu’est-ce qui est mécompris vis-à-vis du handicap ?
Comme beaucoup, j’ai été une adolescente un peu rebelle. J’ai cherché de l’aide auprès de psychologues, mais dès qu’ils entendaient parler de « handicap, » l’affaire était close. Leur vision était simple : mon frère avait pris trop de place dans ma vie familiale et j’avais manqué d’amour et d’attention. Au début, je me suis sentie impuissante, puisqu’en vérité mon frère me manquait et j’avais besoin d’aide pour mieux communiquer avec lui. J’ai ensuite compris qu’ils ne savaient tout simplement pas mieux. Je me suis sentie trahie, même si je savais que leurs intentions étaient bonnes. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me sentir responsable de faire ce que je pouvais pour changer la vision des gens sur le handicap.
Quand j’avais 19 ans, j’ai entendu parler d’un endroit qui s’appelle Zeno Mountain Farm dans le Vermont, l’endroit autour duquel je construirais ma résidence. J’y ai passé un mois pendant l’été 2015 et y suis retournée chaque année depuis. J’ai découvert cette incroyable colonie de vacances un peu hippie conçue pour les adultes ayant ou n’ayant pas d’handicap. Pour la première fois, le handicap faisait simplement partie de la vie — et de plus, c’était une chance d’être créatif. Ceux qui se déplaçaient en fauteuil roulant étaient installés sur des planches à voile adaptées ; nous avons monté des comédies musicales et tourné des films. Tout le monde était à l’honneur. Tout le monde était mis en valeur. Chacun recevait le soutien dont il avait besoin. Nous nous éclations — je ne voyais pas pourquoi l’on ne voudrait pas y être ! Zeno est un endroit où tout le monde a sa place, qui offre un lieu pour se sentir valorisé et apprécié. Cela devient une sorte de famille choisie, car tous avaient une histoire en commun, une même sensibilité au monde, une même vision de la société idéale dans laquelle nous aimerions vivre. J’ai également appris à comprendre le handicap et comment vivre avec, d’une manière que je ne pouvais pas vraiment faire à la maison car les émotions y étaient trop fortes. Grandir avec quelque chose ne donne qu’une seule perspective dessus, la sienne. Il faut vraiment sortir de chez soi pour comprendre.
Comment votre podcast est-il né ?
J’avais quitté la maison à l’âge de 17 ans et, à 25 ans — le Covid a frappé. J’ai demandé à mes parents si je pouvais rester sur leur canapé pendant quelques semaines et suis rentrée vivre avec eux et mon frère. Pour la première fois depuis près de huit ans, mon frère et moi vivions une relation quotidienne. On cuisinait ensemble, faisait du pain ensemble, pratiquait du sport ensemble. Toute ma vie, j’avais eu l’impression que nous ne nous comprenions pas vraiment, et je voyais désormais l’impact que nous avions l’un sur l’autre, comment nous nous développions mutuellement. Pour la première fois, j’ai ressenti un équilibre entre nous, ce que j’imaginais être une « vraie » relation frère-sœur. Pendant le confinement, j’ai commencé à le voir différemment : comme un homme de 28 ans. J’ai posté sur ma page Instagram à propos de cette expérience, ce qui m’a ouvert à un tout nouveau monde. Mon écrit a attiré l’attention du Huffington Post et du Journal of Wild Culture, et les réponses ont été considérables. J’ai commencé à recevoir des centaines de mails, d’appels téléphoniques et de notifications Instagram de la part de personnes qui avaient toutes une relation avec une personne handicapée — frères et sœurs, parents, tous profils et toutes sortes de handicaps. Elles voulaient partager leur histoire ; la plupart d’entre elles le faisait pour la première fois. Il y avait beaucoup de solitude, de détresse et de confusion quant à quoi faire. Les témoignages étaient honnêtes, bruts et identifiaient de nombreux problèmes systémiques — dans les écoles, dans le monde médical, au travail. Beaucoup d’entre eux partageaient les mêmes blessures. Je savais que je devais faire quelque chose de tous ces témoignages.
J’ai donc décidé d’apprendre à éditer et de lancer un podcast. Je ne voulais pas me concentrer sur un handicap en particulier, mais plutôt sur la notion du handicap en général et sur le sentiment d’être « en décalage. » J’ai fini par appeler mon podcast « Décalés, » d’après cette idée. Le podcast pose la question suivante : que signifie cela de grandir avec quelqu’un qui a des besoins plus particuliers que les siens ? Comment cela affecte la vie familiale ? J’ai décidé que la première saison se concentrerait sur les relations entre frères et sœurs — le domaine dans lequel je me sentais la plus légitime. Je voulais aller en profondeur et apporter des perspectives différentes. J’ai interrogé des personnes âgées de 11 à 80 ans. Leurs histoires étaient toutes très différentes et remontaient à des époques diverses, mais elles avaient néanmoins beaucoup de points communs.
J’ai réalisé une deuxième saison avec des participants eux-mêmes atteints d’un handicap — mental, intellectuel ou physique. J’ai parlé à une fille atteinte de sclérose en plaques, à un homme bipolaire et à un autre atteint de la trisomie 21. Il m’était déjà arrivé de voir à la télévision des personnes atteintes de déficiences cognitives, mais je n’avais jamais entendu quelqu’un atteint de la trisomie 21 sur un podcast. C’est comme si nous ne leur faisions pas suffisamment confiance pour parler en profondeur de leur propre histoire.
Quelles histoires avez-vous recueillies au cours de votre résidence à la Villa Albertine ?
J’ai toujours su que je voulais réaliser un projet autour de Zeno, l’endroit dans le Vermont où tout a commencé. Lorsque j’ai découvert l’appel à candidatures de la Villa Albertine, j’ai su que je devais postuler. Dans le cadre de ma résidence, je me suis rendue dans le Vermont, à Boston, à New York, en Caroline du Nord, à Atlanta, à Los Angeles et à San Francisco. J’ai interrogé les fondateurs de Zeno sur la genèse de leur projet. J’ai interrogé des voisins, des parents, des chercheurs, des frères et sœurs et des frères et sœurs jumeaux. Pour la première fois, j’ai interviewé presque une famille entière.
En me déplaçant à travers le pays, j’ai appris comment les expériences vécues des gens sont impactés par leur environnement. J’ai également appris des choses que, venant de la France, je n’aurais pas pensé à demander. Par exemple, le simple fait de déménager d’un état à un autre peut être un facteur déterminant. J’ai parlé à une femme atteinte de paralysie cérébrale qui est née dans le Connecticut et qui a déménagé dans le Massachusetts pour ses études. Elle a maintenant la quarantaine et aimerait retourner dans le Connecticut, mais pour passer du système de santé d’un État à l’autre, le délai d’attente serait d’environ un an. Un an représente des milliers de dollars pour une personne qui reçoit les soins à domicile dont elle a vitalement besoin. Elle se retrouve donc coincée. Dans beaucoup de mes conversations, nous parlons de la dignité du choix, de la dignité du risque, de la dignité de pouvoir explorer sans être infantilisé — l’on ne peut pas connaître la limite sans avoir essayé. Le fait d’être soutenue par la Villa Albertine dans ce projet et de pouvoir travailler au sein de son réseau me donne beaucoup de force en tant que créatrice indépendante. Cela envoie également le message que les institutions suivent le mouvement et ouvrent la conversation. C’est très motivant et spécial. Et ce n’est que le début.
Pour en savoir plus sur Léa Hirschfeld et son projet, visitez le site de la Villa Albertine. La saison 3 du podcast de Léa, Décalés, est désormais disponible sur toutes les plateformes de streaming.