Saison inaugurale de la Villa Albertine
Par Gaëtan Bruel
Comme l’Italie s’imposait au XVIIe siècle, la Villa Albertine prend d’abord acte d’une nouvelle géographie mondiale des arts et des idées, dans laquelle les États-Unis jouent un rôle premier, mais où la France, l’Europe et le monde francophone ont aussi une part active à prendre aux reconfigurations en cours. Elle le fait avec l’ambition de renouveler en profondeur le concept de résidence, pour s’adapter aux réalités culturelles d’un pays-continent autant que pour répondre aux attentes des créateurs telles qu’elles ont évolué.
Si l’idée – et le besoin – d’ouvrir une Villa outre-Atlantique sont anciens, le modèle historique des Villas, qui se propose d’accueillir un collectif de résidents dans un lieu unique, trouve ses limites lorsqu’on cherche à le transposer aux États-Unis. Aucune ville américaine – pas même New York – ne peut en effet incarner à elle seule la variété des dynamiques culturelles qui font des États-Unis la première destination professionnelle des acteurs culturels français, et le premier pays prescripteur à l’échelle mondiale. Los Angeles pour le cinéma, San Francisco pour le numérique, Chicago pour l’architecture, La Nouvelle-Orléans pour le jazz, Atlanta pour les cultures urbaines, Washington DC pour les institutions muséales… Comment, face à cette réalité éminemment plurielle, inventer une Villa qui ait le don d’ubiquité, et puisse accueillir ses résidents partout où ils ont besoin d’aller ?
L’enjeu n’est pas simplement d’être partout à la fois, il est aussi de faire du sur mesure à chaque endroit. Au-delà de la géographie culturelle américaine, ce sont aussi les aspirations des acteurs culturels qui appellent aujourd’hui un format de résidence moins standardisé, plus souple et mieux accompagné. Avec la Villa Albertine, le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a eu envie d’aller au bout de ces questionnements, pour proposer des résidences d’exploration sur mesure, qui répondent aux aspirations américaines des acteurs culturels français mais aussi au besoin de renouveler la perception que les Américains ont de notre paysage culturel. Pour y parvenir, la Villa Albertine se déploie selon un concept novateur, celui d’une Villa à l’échelle d’un pays plus vaste que l’Europe, qui s’appuie sur une multiplicité de lieux et offre un accompagnement individualisé, fort d’une équipe de 80 personnes réparties en dix antennes dans les principales villes des États-Unis (Boston, Chicago, San Francisco, Los Angeles, Houston, Nouvelle-Orléans, Miami, Atlanta, Washington DC et New York, où se trouve son siège).
Chaque année, ce sont désormais plusieurs dizaines de résidents qui seront accueillis, non pas comme un collectif, mais un par un, dans la ou les villes de leur choix. Hébergés de manière individuelle dans un lieu qui appartient à la France, comme la Villa San Francisco, chez un collectionneur américain, comme à Los Angeles, ou dans un logement loué pour correspondre au mieux à leurs critères, comme à New York, les résidents seront surtout invités à sortir du lieu de résidence, pour explorer le territoire de résidence et faire communauté avec les Américains eux-mêmes. De la sorte, ce n’est plus le résident qui s’adaptera à la Villa, mais bien la Villa qui s’adaptera au résident.
Cette saison inaugurale n’a pas valeur de manifeste. Elle est une première tentative de mettre 80 résidents sur les routes de l’Amérique, pendant un an, à raison de plusieurs semaines et parfois plusieurs mois chacun.
Ces résidents n’ont vocation à se croiser ni dans l’espace, ni dans le temps. Disséminés aux quatre coins des États-Unis, ces hommes et ces femmes, représentés à part égale, ont entre 22 ans et 65 ans. Si une majorité sont Français, ils sont un certain nombre à vivre ailleurs, voire à venir d’autres géographies. Chorégraphe, écrivain, directrice de musée, designer, historien, auteure de bande dessinée, géographe, historienne de l’art, photographe, astronome, DJ, compositeur, journaliste, cheffe d’orchestre, directeur de festival, cinéaste, architecte, artiste plasticien… Ils et elles ont été choisi·e·s en lien avec une quarantaine d’institutions culturelles françaises, pour la diversité de leur profil, la force de leur démarche artistique ou intellectuelle, et la pertinence de leur proposition.
Cette première saison s’accompagne également d’une quinzaine de programmes d’accompagnement professionnel, couvrant les principaux champs de la création artistique et des industries culturelles. A travers ces différentes modalités d’action, la Villa Albertine a été bâtie autour de la conviction que, dans un monde en crise, les acteurs culturels n’ont pas seulement besoin d’être soutenus : ils peuvent et doivent aussi nous soutenir dans notre compréhension des grands enjeux contemporains. Digitalisation du monde à San Francisco, révolutions culturelles à Los Angeles, relance du rêve spatial au Texas, urgences environnementales en Floride, bouleversements de la connaissance à Boston, réinvention de la fabrique urbaine à Chicago…
La Villa Albertine, think-tank d’un genre nouveau, projette ainsi les créateurs, penseurs et professionnels de la culture au cœur d’une Amérique vue comme le chaudron utopique et dystopique du monde qui vient. Elle leur donnera la parole tout au long de leur projet, à travers un magazine en ligne et sur les réseaux sociaux. Elle fait ainsi le pari du pouvoir transformateur de résidences d’explorations, conçues pour changer le regard des résidents autant que de celles et ceux qui croiseront leur chemin.
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