Grant Wainscott – Vice-Président de la Chambre de Commerce d’Atlanta
Par Pascale Beyaert
« Les universités jouent un rôle essentiel dans le développement du gaming et de l’e-sport. » Vice-président de l’Ecosystem Expansion de la Chambre de Commerce de la métropole d’Atlanta Grant Wainscott revient sur la façon dont la ville a su développé un écosystème propice aux industries culturelles et créatives.
Atlanta est aujourd’hui connue comme la deuxième ville des États-Unis en termes de production cinématographique, mais aussi comme un pôle de développement pour le jeu vidéo et pour l’e-sport, un secteur qui connait une croissance rapide, avec près de 500 millions d’utilisateurs au niveau mondial et une prévision de plus de 1,5 Md$ de revenus d’ici à 2023 (Esports Ecosystem Report). Des centaines d’écoles américaines proposent déjà des programmes de formation aux métiers de l’ e-sport. Grant Wainscott, de la Chambre de commerce de l’agglomération d’Atlanta, est l’un des meilleurs analystes de ce tournant pris par la Géorgie, devenue le terrain de jeu préféré des industries culturelles et créatives aux Etats-Unis ces dernières années.
Pourquoi, selon vous, l’Etat de Géorgie est-il devenu, en quelques années seulement, la destination privilégiée des industries culturelles et créatives aux États-Unis ?
La région métropolitaine d’Atlanta a longtemps été l’épicentre économique et culturel du sud-est des Etats-Unis, mais récemment, nos écosystèmes musicaux, cinématographiques et du jeu vidéo ont attiré l’attention du monde entier. Berceau du hip hop et de la musique trap, la Géorgie manifeste aussi un engouement sans précédent pour le ballon rond, et des dizaines de films et de séries sont tournés ici chaque jour. L’énergie créatrice de la région est palpable. Parmi les facteurs qui contribuent à notre croissance, citons des crédits d’impôts conséquents, une communauté chaleureuse et accueillante, un coût de la vie bas, des charges professionnelles peu élevées, l’accès à un aéroport parmi les plus fréquentés au monde, plus d’une soixantaine d’universités avec un total de 300 000 étudiants et une population métropolitaine de plus de six millions d’habitants.
Un nombre record d’Américains quittent les régions plus froides, où la vie est plus chère, notamment le Nord-Est et la côte Ouest, ou encore les villes telles que New-York et San Francisco, pour rejoindre le Sud-Est, et Atlanta en particulier. C’est l’une des vagues migratoires les plus importantes dans le pays. Cet afflux de talents créatifs a renforcé la capacité de la Géorgie à attirer les plus grandes sociétés de production cinématographiques et télévisuelles, les acteurs de l’univers des jeux vidéo, de la musique, de la réalité virtuelle et mixte, des nouveaux médias et des plateformes de streaming, entre autres.
De nombreuses entreprises françaises sont implantées dans votre État. Pouvez-vous nous dire ce que vous attendez de ce rapprochement entre la France et la Géorgie dans les années à venir ?
La France et la Géorgie entretiennent depuis longtemps des relations diplomatiques et économiques étroites, à travers le Consulat Général de France, la Chambre de Commerce Franco-Américaine et l’Alliance Française. Atlanta est aussi jumelée avec Toulouse, et des entreprises françaises comme Orange, Sanofi, Ubisoft, Ingenico, Capgemini, Moxie, le Groupe PSA, AXA et Dassault, emploient des milliers de personnes à Atlanta. L’aéroport international Hartsfield-Jackson et Aéroport de Paris relient depuis longtemps nos deux régions grâce à plusieurs vols quotidiens sans escale sur Delta Air Lines et Air France.
Nos liens passent aussi par le monde académique et la formation. Le campus de Georgia Tech (la première université d’ingénierie d’Amérique du Nord) à Metz est l’un des plus anciens campus universitaires américains en France, et la prestigieuse Savannah College of Art and Design (SCAD) en a ouvert un à Lacoste, dans le Vaucluse. Nous travaillons par ailleurs avec des partenaires pour renforcer notre collaboration technologique et créative. Nous prévoyons aussi d’accélérer le rapprochement de nos marchés.
Quelles sont les grandes tendances du jeu vidéo et comment envisagez-vous l’avenir de l’e-sport ?
L’audience de l’e-sport est bien partie pour dépasser celle des sports traditionnels, sachant qu’ils attirent déjà un public mondial plus large que des événements tels que le Super Bowl. Afin de répondre à cette demande, il faut produire davantage de contenus, car nous constatons une forte hausse du nombre de streamers (influenceurs diffusant leurs parties en ligne), casters (commentateurs) et joueurs. Il faudra aussi développer de nouveaux produits pour suivre l’évolution des goûts des consommateurs, qui utiliseront principalement les plateformes de streaming. Heureusement, la Géorgie dispose depuis plusieurs dizaines d’années d’un écosystème lui permettant d’envisager sereinement l’avenir de l’e-sport et du gaming. Nous avons récemment lancé l’Atlanta Esports Alliance pour accompagner la croissance du secteur, la création d’emplois et les investissements. La Géorgie attire notamment des fabricants de matériel informatique, des éditeurs comme Ubisoft et Hi-Rez, des lieux d’enseignement, des clubs, des équipes professionnelles, des joueurs, des sites sportifs de renommée mondiale comme le Mercedes Benz Stadium, des consultants, cabinets juridiques et comptables spécialisés dans l’e-sport, des cafés et des restaurants de jeux, et bien plus encore.
Après la pandémie, les méga-événements – ceux qui réunissent plus de 20 000 participants – feront leur grand retour. Chaque année, Atlanta accueille deux des plus importantes manifestations de ce type : Dreamhack Atlanta, le plus grand rassemblement d’e-sport en Amérique du Nord (40 000 participants), qui a lieu en novembre, et la convention de fans et de gaming MoMoCon (30 000 visiteurs chaque été). On assiste également à l’arrivée d’un nombre record de nouvelles équipes et de joueurs professionnels d’e-sport aux États-Unis. Il y a désormais des dizaines d’équipes professionnelles à Atlanta pour les ligues Overwatch, NBA 2K, Smite, FIFA, Call of Duty, Brawlhalla, et d’autres.
Selon vous, quel sera l’impact sur le secteur de l’e-sport de la création récente d’une ligue qui rassemble les principales universités noires (les HBCU: Historically Black Colleges and Universities) ?
Berceau du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, Atlanta abrite déjà le Centre Martin Luther King Jr, la Fondation Jimmy Carter et le Centre national pour les droits civiques et humains. Cet héritage a contribué à faire de la métropole d’Atlanta un centre éducatif majeur. Quatre des universités HBCU les plus importantes du pays – Clark Atlanta University, Spellman College, Morehouse College et Morehouse School of Medicine – partagent un campus géographiquement proche du centre-ville. Il est donc normal que la toute nouvelle Ligue HBCU Esports ait été créée et ait son siège ici.
Les rivalités entre les HBCU sont tenaces, et l’arrivée d’une ligue d’e-sport renforce cet esprit de compétition. Le site de la ligue indique qu’elle “est l’occasion d’allier le gaming à la culture, tout en profitant de la compétition et de ses enjeux colossaux, et des histoires passionnantes que vous aimez tant dans l’e-sport”. Mais notre mission principale est de réduire les inégalités dans le monde de l’e-sport et d’offrir des opportunités aux étudiants issus des minorités ethniques, dans une période où notre pays tente d’endiguer le racisme systémique et de faire progresser l’équité raciale.
Quel est l’intérêt de ces ligues universitaires et comment le monde académique peut-il contribuer à l’avenir de l’e-sport ?
Les universités jouent un rôle essentiel dans le développement du gaming et de l’e-sport. Elles ont beaucoup investi dans les programmes du secteur des industries créatives afin de former les futurs codeurs, programmeurs, commentateurs, artistes, casters et les joueurs eux-mêmes. En parallèle des nombreuses ligues lycéennes et universitaires d’e-sport en Géorgie, la ville d’Atlanta compte deux campus d’apprentissage créatif très importants. Une des plus grandes universités américaines, la Georgia State University (qui compte plus de 50 000 étudiants) vient de financer, à hauteur de 25 M$, un institut de pointe pour l’industrie des médias créatifs. Celui-ci met l’accent sur la formation dans les technologies de pointe et la création d’un modèle national pour l’entrepreneuriat dans les médias, avec nos partenaires de l’industrie des médias et des arts. Le Savannah College of Arts and Design (SCAD), l’université des métiers créatifs, est l’une des meilleures écoles d’art et de design du pays, avec des campus à Atlanta, Savannah et Lacoste.
Les entreprises américaines intègrent de plus en plus la notion de diversité dans leurs effectifs, leurs équipes dirigeantes, leurs conseils d’administration et chez leurs fournisseurs. Les institutions d’Atlanta sont à l’avant-garde de ce changement. Apple vient ainsi d’annoncer un investissement de 25 M$ en faveur de l’université de Morehouse, dans le cadre du pôle d’apprentissage et d’innovation Propel Center. Reed Hastings, le Pdg de Netflix, a quant à lui versé 80 M$ aux universités Spelman et Morehouse. Le réseau HBCU est extrêmement important pour la communauté afro-américaine car il rassemble les meilleures universités et crée un tissu sportif et social très fort. C’est un honneur pour Atlanta d’être la capitale de la diversité aux États-Unis.
Grant Wainscott est Vice-président de l’Ecosystem Expansion de la Chambre de Commerce de la métropole d’Atlanta. Sa mission consiste à maintenir et à accroître l’emploi et les investissements dans le secteur des nouvelles technologies et de la création. Il est également vice-président d’Atlanta Esports Alliance, filiale de l’Atlanta Sports Council dédiée au développement et à la gestion d’événements et d’investissements dans l’e-sport. Il occupait auparavant le poste de directeur du développement économique et cinématographique du comté de Clayton, où il a supervisé les projets de développement et de réaménagement de l’aéroport d’Atlanta, à hauteur de 200 M$, contribuant à la création de plus de 2 500 emplois. En tant que directeur de la première commission du film du comté, il a aussi facilité l’accueil de 45 projets pour le cinéma et la télévision, et le tournage de multiples publicités, clips vidéo ou films institutionnels. Il a par ailleurs été directeur général adjoint du développement communautaire et économique de la Chambre de commerce du comté de Clayton, et directeur du développement économique de la ville de Morrow. En tant que président du conseil de promotion internationale de la Chambre de commerce de Clayton, il a supervisé des missions de commerce extérieur pour la région et participé à plus d’une trentaine de missions commerciales et culturelles dans le monde entier. Il est diplômé en commerce international de l’université Florida Southern College, et a étudié à Québec, et à Augsbourg, en Allemagne.
Twitter: @GrantWainscott
Twitter: @atlchamber