Marie-Sarah & Cyrielle
Artistes pluridisciplinaires
Janvier à Mars 2025
- Arts visuels
- San Francisco
« Aller de l’équation au mythe et en sens inverse. Exhumer des vérités oubliées. Descendre dans l’arène du vivant. Faire connaissance avec les microbes. Tomber à genoux devant l’infiniment petit. Hisser les vies minuscules sur l’Olympe. Forger de nouveaux mythes fondateurs. Décaler nos imaginaires. Incorporer l’invisible. Esquisser une nouvelle écologie, scientifique et mythologique. Et accoucher d’une cosmogonie universelle, turbulente et polyphonique. »
Nous avons beaucoup de points communs. En particulier les points. Le point est chez moi (Marie-Sarah) le pixel du vivant, la cellule, le microbe, l’unité vibratoire de la trame de la vie. Le point est chez Cyrielle le pixel de l’Univers, la particule, l’objet céleste ; c’est donc tout naturellement qu’elle a basculé avec moi dans les mondes minuscules où ses points se sont mis à animer la matrice microbienne invoquée par le texte.
Mon artisanat repose sur l’écriture, celui de Cyrielle sur la peinture. Mais nous faisons la même chose : donner corps à l’infiniment grand à partir de l’infiniment petit. Avec la même obsession pour l’accumulation et les cadences infernales propres à l’agitation des atomes, à la vitesse folle des grains de lumière et à la prolifération exponentielle des unicellulaires.
Changer de regard sur les microbes est aussi un enjeu esthétique qui appelle un renouvellement des formes. Leur irruption dans nos représentations du monde provoque un tel bouleversement qu’il fallait inventer une nouvelle langue, terrestre et métissée, capable d’articuler un double récit des origines pour y faire entendre la voix des sciences et celle des mythes. Mais c’est aussi un enjeu graphique car l’immense puissance et diversité du monde microbien se réduit souvent, comme l’emoji microbe en témoigne, à une petite boule effrayante couverte d’épines. Cyrielle parvient à sortir du piège de la figuration pour inventer une nouvelle physicalité des microbes.
Dire et voir autrement l’histoire du vivant pour nous mettre au contact des forces en présence – en nous et tout autour de nous – c’est tout l’enjeu de ce livre qui invite à basculer vers un nouveau système d’incarnation et d’attention.
Marie-Sarah Adenis est une artiste pluridisciplinaire formée à la biologie (ENS-Ulm) et au design (ENSCI). À mi-chemin entre un travail de plasticienne, de chercheuse et de conteuse, elle explore de nouvelles formes de représentations et de récits pour appréhender les mystères du monde vivant. Avec ses projets, elle jette les bases d’une nouvelle écologie, scientifique et mythologique. Après plusieurs années consacrées à l’ADN et à la création d’une cosmogonie désoxyribonucléique, elle travaille à l’avènement d’une cosmogonie microbienne, à la croisée de la microbiologie et de la mythologie. Elle a notamment exposé au Palais de Tokyo, au Centre Pompidou ou encore au Congrès Mondial de la Nature. Elle est par ailleurs à l’origine d’un procédé de bioproduction écologique des couleurs, avec l’entreprise de biotechnologie Pili dont elle est co-fondatrice.
Cyrielle Gulacsy est une artiste autodidacte. D’abord animé par une quête de réalisme, son travail évolue sous l’influence de la physique moderne, vers la représentation d’un réel imperceptible. L’espace-temps, l’électromagnétisme ou encore la diffraction de la lumière sont autant de champs de recherches et d’expérimentations qui permettent à l’artiste d’explorer de nouvelles représentations de la réalité. Les formes qu’elle emploie vont de la peinture à la sculpture en passant par la photographie. Son approche du pointillisme résulte d’une volonté de se rapprocher de la quintessence des choses et de rendre compte de quantités infinies difficiles à concevoir. Elle est représentée par la Galerie Anne-Sarah Benichou à Paris et par la Mignoni Gallery à New York. Elle a notamment exposé au Musée d’Orsay et dans de nombreuses institutions et foires internationales.
« Au commencement étaient les microbes. Mais ça, personne ne le savait. Alors les dieux ont pris le pouvoir et nous avons cru à eux pendant des millénaires. »
C’est par ces mots que s’ouvre le livre qui fait l’objet de cette résidence à la Villa Albertine et qui sera publié chez Actes Sud. Ce texte cherche à produire l’ébauche d’une nouvelle cosmogonie, un nouveau récit du monde qui entremêle les sciences et les mythes pour offrir une vue tridimensionnelle des origines de la vie. Et la vie tient essentiellement aux microbes qui sont les plus anciens, les plus nombreux, les plus divers. Ils ont terraformé le monde à l’instar des dieux, ont installé la grammaire du vivant et se sont rendus essentiels à chacune des vies sur Terre. Retranchés dans les mondes microscopiques, ces démiurges opèrent comme les divinités qui peuplent nos imaginaires collectifs. Ce livre s’attache à apparier des phénomènes microbiens à des mythes pour arpenter les mystères du vivant depuis les deux faces, scientifiques et oniriques.
Le texte est fragmentaire et renvoie à une fouille archéologique qui nécessite un travail d’imagination pour opérer pleinement. C’est là que les microbes surgissent d’entre les points. Les dessins, eux aussi fractionnés, éclatés, offrent les indices d’un monde qui ne peut pas complètement se laisser attraper. Mais ils prolongent les mots et donnent corps à l’insaisissable en traçant des chemins pour la pensée. Ils récitent une partition inconnue, un chant des pistes à l’échelle des inframondes.
Le livre articule le temps profond et les enjeux contemporains, faisant sans cesse des aller-retour entre notre monde et ce qui l’a rendu possible. Il est parsemé d’axiomes poétiques débouchant parfois sur de nouveaux concepts philosophiques fertiles pour la pensée écologiste contemporaine, qui gagnera à intégrer d’avantage la vie microbienne, clef de voûte des écosystèmes, matrice du monde vivant et pourvoyeuse inépuisable de fables.
Michelet déclarait en 1857 dans son texte L’insecte : “Il y a un monde sous ce monde, dessus, dedans, tout autour, dont nous ne nous doutons pas”. On pourrait reprendre mot pour mot ce qui est encore plus éclatant de vérité à propos des microbes car nous n’avons entrevu que le petit orteil de ce Léviathan majestueux qui nous travaille de l’intérieur, nous possède et nous rend possibles.
La Californie offre bien des points de contact, des passages secrets vers les origines de la vie. Elle possède des écosystèmes uniques qui permettent de remonter le temps et d’étudier les conditions qui ont présidé à l’émergence de la vie sur Terre. C’est un laboratoire à ciel ouvert avec ses zones volcaniques et hydrothermales, ses forêts antiques qui reposent sur des cycles chimiques primitifs, ou encore ses lacs hypersalins et alcalins qui abritent des formes de vie microbiennes extrêmophiles qui permettent de comprendre comment la vie a pu se former et comment elle parvient à survivre dans des environnements particulièrement violents.
Le livre commence là, dans les limbes du monde. C’est donc ici qu’il fallait venir pour écrire ce sursaut originel de la matière inorganique qui se prolonge soudainement pour enfanter les mondes organiques. Cette résidence sera à la fois l’occasion de se laisser traverser par la puissance de ces écosystèmes insolites mais aussi de profiter d’un autre écosystème flamboyant, humain cette fois, celui de la baie de San Francisco. Cette enquête littéraire et scientifique sera nourrie de rencontres avec des biologistes qui travaillent sur la chimie prébiotique, avec des chercheurs qui partent sur les traces des premières communautés microbiennes ayant terraformé le monde, ou encore avec des astrobiologistes qui s’intéressent à la chimie stellaire.
En partenariat avec
Djerassi Resident Artists Program
La mission de Djerassi Resident Artists Program est de soutenir et d’enrichir la créativité des artistes en leur offrant un temps ininterrompu pour le travail, la réflexion et les interactions collégiales dans un cadre de grande beauté naturelle, et de préserver le terrain sur lequel le programme est situé. Le Djerassi Resident Artists Program est reconnu internationalement pour son excellence en tant que résidence d’artistes. Nous nous efforçons d’offrir la meilleure expérience de résidence possible aux artistes de talent supérieur, provenant de divers horizons et régions géographiques. En tant que gardiens d’une propriété unique et magnifique, nous cherchons également à préserver le terrain et à utiliser nos installations de manière judicieuse et efficace pour le maximum de bénéfice pour les artistes, tout en ayant le moins d’impact possible sur l’environnement.
Fondation Engie