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Farah Clémentine Dramani-Issifou

Programmatrice de films, commissaire d'exposition et chercheuse
Février - Avril 2024

  • Cinéma
  • Musées
  • Sciences humaines et sociales
  • Boston

« La question de la restitution des artefacts est intimement liée à celle des collections d’archives créées à l’époque coloniale, car elles jouent toutes les deux un rôle central dans le processus de reconstruction mémorielle. »

Enfant, on m’a toujours renvoyée à une certaine altérité, me demandant sans arrêt quelle était mon origine, moi qui suis née à Caen d’une mère française et d’un père béninois ET français. Je me souviens du jour où la question : “est-ce une correspondante ?”, posée par une commerçante dans le village où nous venions de nous installer, ma mère répondit : “non, c’est bien ma fille”. Dans l’imaginaire hexagonal, il était alors impossible qu’une petite fille comme moi, soit française. J’ai par la suite grandi avec tout un tas de fantasmes sur l’Afrique, nourris par les images que je voyais à la télévision.

Après des études d’économie internationale et d’urbanisme entre Grenoble, Lyon et Paris, une amie franco-sénégalaise rencontrée à la Sorbonne, terminait le montage de son premier film documentaire qu’elle avait réalisé au Sénégal. Je me souviens avoir été saisie par les images de son film, la force politique de son propos comme de ses personnages. Boul Fallé, m’a ouvert la voie du cinéma comme celui d’un espace de luttes. J’ai alors eu le désir profond à travers les festivals de cinéma que j’ai ensuite co-créés, de participer à la diffusion des récits de la nouvelle génération de réalisateurs du continent et de ses diasporas. Un geste qui était alors pour moi, synonyme de reprise d’un espace de représentation et d’affirmation de soi, dans un rapport avec le Tout-monde. En 2011, j’ai donc initié le festival BeninDocs-Festival du Premier Film Documentaire avec des collègues béninois, qui s’est déroulé à Paris et à Cotonou jusqu’en 2016. A cheval entre la France et le Bénin, le festival créait un espace dédié à la diffusion de films documentaires rares, réalisés principalement par des cinéastes africains et il questionnait le monde depuis une perspective Afro-diasporique. J’ai rejoint par la suite Charles Tesson au sein du comité de sélection des longs métrages de la Semaine de la Critique, section parallèle du Festival de Cannes, avant de devenir la coordinatrice artistique des courts métrages en 2022.

Toujours engagée dans la promotion des cinématographies du continent, je travaille depuis 2020, aux côtés de l’équipe du Centre Yennenga à Dakar, lieu dédié à la création, la formation et la postproduction de films, créé à l’initiative du cinéaste Alain Gomis. Je fais également partie des comités de sélection du Festival international du Film de Marrakech et du Fespaco.

Je poursuis également ces réflexions autour de la culture comme un espace de luttes des représentations, à travers la recherche et le commissariat d’exposition. Après avoir participé à l’Ecole Doctorale des Ateliers de la pensée initiée par Felwine Sarr et Achille Mbembe à Dakar en 2019, je travaille depuis 2020 sur une thèse doctorale consacrée aux théories et pratiques de l’exposition des présences africaines dans l’art et j’organise régulièrement des expositions sur les thèmes précédemment cités.

 

Depuis 10 ans, Farah Clémentine Dramani-Issifou est programmatrice pour des festivals de cinéma (la Semaine de la Critique, Marrakech International Film Festival, la Villa Medici Film Festival, Fespaco, Doxa). Elle est également commissaire des expositions Un.e Air.e de Famille (2021) ; Tofodji, sur les pas des ancêtres (2022) et Afrotropes – des imaginaires de l’Atlantique noir (2024). En 2023, elle est nommée Chevalier du mérite des arts, des lettres et de la communication du Burkina Faso. 

En 2023-2024, elle est chercheuse invitée à l’Université d’Harvard et chercheuse associée au Harvard Film Study Center. 

Alors que le débat sur la restitution du patrimoine africain s’est concentré sur les artefacts, de plus en plus d’initiatives portées par des institutions, des artistes et des cinéastes s’intéressent aux questions de l’accessibilité et de la restitution des films africains qui reste encore entre les mains d’institutions occidentales, principalement en France et aux États-Unis. Or, comme le souligne le rapport Sarr/Savoy (2018), la question de la restitution des artefacts est intimement liée à celle des collections d’archives créées à l’époque coloniale, car elles jouent toutes les deux un rôle central dans le processus de reconstruction mémorielle. 

Comme le soulignent Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, restituer le patrimoine africain à l’Afrique nécessite une connaissance précise des collections africaines – où sont-elles et qu’est-ce qu’elles sont ?Le projet “Restituer le patrimoine cinématographique africain” vise à créer un espace de recherche et d’expérimentation curatoriale sur les questions liées à la restitution des archives cinématographiques africaines depuis les années 1980, et penser les conditions de retour et de circulation du patrimoine cinématographique africain sur le continent. En effet, plusieurs collections appartenant au patrimoine cinématographique africain sont conservées aux États-Unis, notamment au sein de la Cinémathèque d’Harvard qui possède la plus riche collection de films ethnographiques au monde ainsi que des films africains contemporains (Med Hondo, etc.). Ce projet entend participer à l’historiographie des restitutions et contribuer aux débats en cours sur le sujet. 

Le rapport de la Présidence de l’Université d’Harvard a révélé en novembre 2022, les liens de l’université avec l’histoire de l’esclavage et de la colonisation. Le projet “Restitute African Film Archives” propose de questionner cette histoire à travers l’analyse des collections de films présents au sein de la Cinémathèque d’Harvard, qui possède la plus riche collection de films ethnographiques au monde ainsi que des films africains contemporains (Med Hondo, etc.), et l’organisation et l’animation de table-ronde, programmation de films et talks sur le sujet. 

D’autres institutions et acteurs sur le territoire américain sont détenteurs des droits de films appartenant au patrimoine cinématographique africain (Paulin Soumanou Vieyra, Ousmane Sembene, Safi Faye, Djibril Diop Mambety pour ne citer que les figures du cinéma sénégalais) ou sont engagés dans des dynamiques de restauration de films africains, à l’instar de The Film Foundation. 

Je souhaite rencontrer toute personne ou institution avec qui échanger, collaborer et réfléchir à l’enjeu crucial et concret de l’accessibilité des œuvres du patrimoine cinématographique africain en Afrique. 

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