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Çağla Zencirci & Guillaume Giovanetti

Cinéastes
Janvier–Février 2024

  • Cinéma
  • Washington, DC

« Nous souhaitons investir pour la première fois le territoire cinématographique des États-Unis pour mener une enquête de terrain et concevoir un film qui traite de choix moraux et de dette morale impliquant des ennemis géopolitiques. »

Coréalisateurs de notre vie depuis 2002, nous avons voyagé dans de nombreux pays (de la Turquie au Tibet en passant par l’Iran, le Pakistan et l’Inde, puis l’Italie, l’Allemagne, la France et le Japon), où nous avons réalisé des courts-métrages de 2004 à 2010. Passant progressivement du documentaire à la fiction, nous avons peu à peu établi notre mode opératoire : nous investissons un territoire et faisons une rencontre exceptionnelle avec une personne dont le vécu dépasse la plus extraordinaire des fictions. Nous passons du temps avec elle, écoutons son histoire, sculptons la matière première en un personnage de fiction et finissons par la convaincre de jouer son propre rôle dans un film écrit pour elle. Au fil du temps, nous avons également commencé à tenter de redéfinir le rôle de l’homme et de la femme dans divers contextes politiques. 

L’expérience nous a montré que chaque film en entraînait un autre. Notre premier court-métrage nous a emmenés au Pakistan, où nous avons réalisé le long-métrage Noor, sur un transgenre en quête d’amour. Le court-métrage Ata, sur la rencontre inattendue d’un réfugié ouïghour et d’une Turque en France, nous a conduit au Japon, où nous avons réalisé Ningen, l’histoire d’un PDG épuisé, perdu dans les contes japonais et qui reprend pied grâce à l’amour de son épouse. Notre dernier film, Sibel, raconte l’émancipation d’une jeune Turque muette qui communique dans la langue sifflante de son village montagnard au bord de la mer Noire. Il nous a permis, à Washington, de faire une rencontre marquante avec un autre réfugié ouïghour. Il est désormais temps pour nous d’investir un nouveau territoire : les États-Unis d’Amérique… 

Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, un couple franco-turc, coréalisent des films et leur propre vie depuis 2004. Noor (Pakistan, 2012 / Cannes Acid), Ningen (Japon, 2013 / Toronto) et Sibel (Turquie, 2018, Locarno) sont trois de leurs longs-métrages.

En 2018 et 2019, Sibel a été montré dans une centaine de festivals, où il a reçu plus d’une quarantaine de prix, avant de sortir en salle dans plusieurs pays (France, Turquie, Allemagne, États-Unis, etc.), où il a réalisé plus de 200 000 entrées. Finaliste des Golden Globes et des European Film Awards, il a été acheté par Canal +, Ciné +, OCS et Arte en France, et par HBO en Europe. 

En 2019, lors de la présentation de Sibel à Houston, nous avons rencontré un Ouïghour originaire de Washington qui avait vu notre court-métrage Ata, sur la rencontre, en 2008, d’un réfugié politique ouïghour et d’une jeune Turque en France. Cette rencontre fortuite nous a donné envie de tourner un long-métrage inspiré d’Ata. 

En voici l’intrigue : en raison de son engagement politique, Alimjan, 60 ans, a dû fuir la Chine il y a dix ans, avec l’aide de son ami et associé Bao, originaire de Hong-Kong. Il s’est installé à Washington et a tenté de faire venir Melikem, sa fille adorée, dont il a malheureusement perdu sa trace dans les camps de travail du Xinjiang. Il s’est résigné à ne plus jamais la revoir et a commencé à faire ce qu’il faisait chez lui : sculpter de la pierre d’ambre. Mais un jour, Feng, la fille de Bao, 18 ans, est arrivée, après que son père a été arrêté et condamné à mort pour avoir aidé Alimjan à s’enfuir. Le seul moyen de sauver son père est d’obtenir une vidéo d’Alimjan affirmant qu’à l’époque, il avait contraint Bao, sous la menace d’une arme, à l’aider à s’échapper…

L’intrigue de ce nouveau film tourne donc autour de choix moraux et de dette morale impliquant des ennemis géopolitiques. Alimjan ne sait comment se dépêtrer de ce dilemme, mais ni lui ni Feng ne se doutent qu’ils vont tisser des liens extraordinaires, semblables à ceux d’un père et de sa fille, qui se matérialiseront dans la pratique de la sculpture sur ambre… 

Nous devons maintenant préparer notre film à Washington. Durant notre résidence, notre objectif principal sera de rencontrer le plus grand nombre possible de personnes issues de la communauté ouïghoure en exil, et de nous inspirer de leurs histoires. Nous étudierons également la manière dont la cause ouïghoure est défendue aux États-Unis et nous renseignerons, le cas échéant, sur les ateliers de sculpture sur pierre de la région. 

L’une des principales raisons pour lesquelles nous aimerions travailler aux États-Unis sur ce projet est que nous aurons accès à la meilleure source d’inspiration pour ce film : la plus grande communauté ouïghoure au monde après celles de Chine et d’Asie centrale. Depuis 20 ans, nous perfectionnons notre approche des acteurs non professionnels afin de révéler leur potentiel, en les impliquant dans la conception de nos œuvres. Nous sommes convaincus que les Ouïghours de Washington et, plus généralement, les Américains, seront suffisamment ouverts pour nous partager leurs histoires avec nous. 

Nous rendrons visite à plusieurs associations impliquées dans la cause du peuple ouïghour à Washington (Uyghur American Association, Radio Free Asia, Uyghur Human Rights Project), et fréquenterons des lieux plus informels où les Ouïghours sont susceptibles de se rencontrer, comme les restaurants ouïghours de la région. Ces rencontres engendreront d’autres rencontres et il nous tarde de savoir où tout cela nous mènera. 

Parallèlement, afin d’en savoir plus sur le statut de réfugié aux États-Unis, nous prévoyons de nous rendre dans diverses institutions gouvernementales pour y rencontrer des représentants des services en charge des questions liées à la citoyenneté et l’immigration. Nous visiterons enfin plusieurs ateliers de sculpture sur ambre de la région. 

Nous avouons ressentir le besoin fort et intime d’investir le territoire cinématographique des États-Unis. Il nous faut confronter notre version idéalisée de cette terre à sa réalité et en tirer le meilleur parti. Et, si la fortune nous sourit, nous en profiterons pour tourner un court-métrage lors de notre résidence, indépendamment de nos recherches. 

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