Anne Lafont
Historienne de l’art
Décembre 2021 - Eté 2022
- Littérature
- Sciences humaines et sociales
- La Nouvelle-Orléans
- New York
« Dans ce projet, l’échelle de l’enquête historique est celle de l’exceptionnalité, prenant délibérément deux destins singuliers et emblématiques comme points d’ancrage d’une histoire américaine où l’expérience française est noire. »
Après avoir étudié l’histoire de l’art au Canada, en France et en Italie, j’ai enseigné à l’université avant d’être chercheuse à l’INHA pendant dix ans. Mes travaux portaient alors sur la fabrique de la discipline Histoire de l’art, sur ses fondements idéologiques en parallèle des constructions nationales européennes, de Napoléon à l’entre-deux-guerres. Ces recherches sur la dimension politique de l’écriture de l’histoire de l’art ont donné lieu à deux enquêtes : la première, fondée sur les ressources et le questionnaire propres aux études de genre, s’est concrétisée par la co-direction d’un ouvrage collectif : Plumes et pinceaux. Discours de femmes sur l’art en Europe (1750-1850) ; la seconde, consacrée à l’étude des relations entre arts et savoirs à l’époque des Lumières, a donné lieu à une exposition et un catalogue : 1740, un abrégé du monde.
Dans la continuité de ces travaux collectifs relevant d’une historiographie critique, je suis devenue rédactrice en chef de Perspective, revue d’actualité de la recherche de l’Institut national d’histoire de l’art. Depuis, mon engagement dans la vie des revues s’est poursuivi notamment à Critique, Gradhiva, et Esprit. Ces espaces de pensée sont extrêmement importants dans ma réflexion car ils stimulent la recherche fondamentale et souvent solitaire.
Depuis 2017, je suis à l’EHESS, où le point d’orgue de mon activité est le séminaire de recherche avec les jeunes chercheurs et les collègues. Deux axes principaux y président : la construction visuelle de la race à l’époque moderne et la fabrique de l’art africain dans les discours et les pratiques depuis le XVIIe siècle. Ainsi, mes recherches s’ancrent dans une réflexion épistémologique sur cette drôle de discipline qu’est l’histoire de l’art – ses ressources spécifiques et ses biais fondamentaux, mais aussi ses chemins de traverse – ainsi que sur les mondes visuels dans leur diversité – du chef d’œuvre au graphisme – en ce qu’ils fabriquent du soi et de l’Autre dans tous les aspects de nos vies.
Anne Lafont est historienne de l’art et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Elle a suivi sa formation universitaire au Canada et en France puis a été pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Elle est depuis vingt ans chercheuse et enseignante. Son dernier livre intitulé L’art et la race. L’Africain (tout) contre l’œil des Lumières lui a valu le Prix Fetkann! Maryse Condé dans la catégorie recherche et le Prix Vitale et Arnold Blokh de 2020. Elle collabore également avec les musées et a contribué, entre autres, à l’exposition Le modèle noir de Géricault à Matisse du musée d’Orsay en 2019.
Cette résidence me permettra de prolonger une enquête sur l’espace figural de l’Atlantique noir et d’identifier des motifs, tropes et afrotropes, à l’intersection des histoires noire, américaine et française depuis la période coloniale.
Je me propose de prendre deux figures iconiques : Marie Laveau (Métisse de La Nouvelle-Orléans, 1794-1881) et Jean-Baptiste Pointe du Sable (Haïtien et père fondateur de Chicago, 1745-1818) car le croisement de leurs vies et de leurs fortunes iconographiques respectives met en tension la question de l’image, de l’histoire, de l’art et de la mémoire, du public et du privé, du genre, de la célébrité et de l’effacement, dans l’émergence et la conceptualisation de l’Atlantique noir.
L’échelle de cette enquête historique est celle de l’exceptionnalité car elle repose sur deux destins singuliers et emblématiques d’une histoire américaine où l’expérience française est noire ; où, entre autres, les avatars de la culture et de la société française d’Amérique, après la vente de la Louisiane par Napoléon en 1803, sont ceux de descendants d’esclaves et de métis qui ont importé sur les bords du Mississipi l’expérience noire de la colonie de Saint-Domingue.
Partant de ces destins, aux deux extrémités du Mississipi, je solliciterai des personnalités d’aujourd’hui qui ont intérêt à leurs figures pour en faire le fondement d’une écriture historique alternative ; un récit qui stratifie, croise, fait s’entrechoquer les histoires plutôt qu’il ne tranche dans la quête d’un récit authentique et unifié. Écriture d’une histoire plurielle, l’écoulement du temps sur trois siècles y serait une source plus qu’un obstacle à la quête d’un temps originel dépouillé des mémoires. Il ne s’agit nullement d’écrire une contre-histoire ou une contre-archéologie, mais plutôt d’imaginer une histoire-boule de neige, exponentielle et grégaire, qui s’épaissit chemin faisant et assume la métamorphose de la figure originelle de son enquête, qui en fait même l’objet fondamental du proje
La résidence se déclinera dans trois villes. Un premier séjour de recherches élémentaires aura lieu à New York pour bénéficier des ressources documentaires du Schomburg Center for Research in Black Culture de la New York Public Library. J’y effectuerai un travail de recherches et de lectures sur les deux protagonistes et je constituerai leur fortune iconographique dans les collections précieuses du centre de recherches spécialisées d’Harlem. C’est un travail fondamental qui devrait me permettre de mieux connaître les vies de Marie Laveau et Jean-Baptiste Pointe du Sable. Ce sera aussi l’occasion de préparer les séjours à La Nouvelle-Orléans et à Chicago, tout comme la descente (ou la montée) du Mississipi, à rebours du temps, avec les acteurs de l’histoire et de la mémoire d’aujourd’hui, tels qu’ils appréhendent ces figures emblématiques de l’émancipation d’hier. Le séjour à La Nouvelle-Orléans permettra la réalisation d’entretiens avec différentes personnalités (chercheur, artiste, conservateur, militant…) racontant leur Marie Laveau, tandis que celui à Chicago sera consacré, dans les mêmes conditions, à la figure de Jean-Baptiste Pointe du Sable.
En partenariat avec
Centre Pompidou
Depuis 1977, le Centre Pompidou présente une riche programmation aux croisements des disciplines et des publics. Son bâtiment emblématique, qui abrite l’une des deux plus grandes collections d’art moderne et contemporain au monde, ainsi que des expositions, des colloques, des festivals, des spectacles, des projections ou des activités pour les plus jeunes, en font une institution sans équivalent, profondément ancrée dans la cité et ouverte sur le monde et l’innovation.