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Où allons-nous ? Vers une nuit éclairée !

Courtesy of BOA Light Studio

Par BOA Light Studio

Pour savoir où nous allons, il faut contempler la nuit, accueillir la liberté qu’elle amène, et discerner les lumières qui y percent. Cette proposition anime le travail de BOA light studio qui éclaire les architectures de par le monde, et propose, le temps d’une Nuit des Idées, de nous soustraire aux cadres imposés par le jour et l’activité qui lui est associée. L’objectif : laisser l’imagination et la surprise se déployer, bouleverser et interroger nos repères.

J’ai lu il y a quelques jours un graffiti sur un mur parisien avec cette phrase : « Je vis la nuit car on m’a dit que j’allais mourir un jour. »

A défaut de savoir où nous allons, nous pouvons déjà prendre cette phrase comme point de départ. A chaque jour succède une nuit. Chaque nuit est un recommencement. La nuit est à la fois une fin et à la fois la promesse d’un renouveau. Mais il n’y a pas une nuit, il y a des nuits. 

En Occident, dans une ville, il y a 3 nuits successives : une nuit active, durant laquelle le soleil est couché mais les activités de la journée perdurent. Une nuit urbaine pendant laquelle les travailleurs nocturnes arpentent la ville lorsque tout le monde s’apprête à dormir. Et une nuit naturelle, où toute nuisance lumineuse doit s’éteindre autant que possible pour ménager un morceau de véritable nuit à la faune et la flore. Dans cette nuit-là, on se remet tous en connexion avec les vivants que nous sommes et le végétal. 

La nuit dans les villes est surtout rythmée par la présence de lumière artificielle. Avant elle, à la nuit tombée, les pratiques urbaines étaient éclairées à la bougie, puis au gaz. Les nuits étaient à la merci de la durée de consommation des bougies, à l’économie de gaz plus tard. Le temps était compté selon la durée d’une bougie. Les opéras avant l’arrivée de l’électricité duraient juste le temps d’une bougie. A la fin de la bougie, c’était l’obscurité. La lune était alors le seul moyen de se soustraire à cette impression. La nuit noire sans lumière était, et reste effrayante. L’angoisse de ne rien voir, absolument rien voir, au point d’avoir l’impression d’être aveugle, donne la sensation de perdre un sens. 

Ce qui préoccupe BOA, c’est la perception nocturne de la nuit, des nuits ; ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas, ce que l’on ressent alors.  

La nuit est un territoire, un espace-temps partagé où chacun a sa propre interprétation sensorielle, différente d’une nuit à l’autre.  

Gaston Bachelard évoque en 1949 dans Le rationalisme appliqué « l’invention de la lampe électrique à fil incandescent [qui] rompt avec toutes les techniques de l’éclairage en usage dans toute l’humanité jusqu’au XIXe siècle. Dans toutes les anciennes techniques, pour éclairer il faut brûler une matière. Dans la lampe d’Edison [inventée en 1879], l’art technique est d’empêcher qu’une matière ne brûle. L’ancienne technique est une technique de combustion. La nouvelle technique est une technique de non-combustion. » 

Ce basculement précisément décrit par Bachelard est pour nous le début d’une grande histoire des nuits que l’on se plait à inventer et à décortiquer. Les villes ont pris un nouveau visage, l’architecture s’est éclairée par autre chose que par un soleil implacable.  

Dans l’espace public, l’arrivée de l’éclairage urbain électrique a radicalement changé le rapport à la nuit dans les villes. La nuit est devenue totalement accessible. Elle était le temps de l’invisible, du non montrable, des activités cachées. En soi, l’absence de lumière du jour, et la présence de lumière dans la nuit pourraient être une sorte de privatisation de l’espace public. Avec la nuit contemporaine, l’espace public est capable d’accueillir une forme d’intimité, pas seulement le crime, et tout ce qui est illégal. Beaucoup de gens préfèrent se balader la nuit plutôt que le jour. Et les rencontres nocturnes rapprochent les gens les uns des autres ; ils ont le sentiment d’appartenir à la même espèce. N’est-il pas plus simple d’adresser la parole à un inconnu dans un bar au milieu de la nuit plutôt qu’à un individu à son bureau en pleine journée ? Le jour, nous sommes désespérément seuls. La nuit, nous sommes libres. Libres de dormir, ou de ne pas dormir, de faire la fête. Ce temps-là échappe au cadre horaire. Aujourd’hui, le moment de raison apparaît la nuit tandis que la folie, elle, arrive le jour. On pourrait se convaincre que la nuit amène avec son obscurité angoisses et peurs irrationnelles. Mais que deviennent-elles si la nuit n’est plus synonyme d’obscurité ? En effet, il est intéressant d’analyser ce paradoxe : si l’on regarde la réalité actuelle, les angoisses naissent de notre rapport au réel lorsqu’il fait jour. Finalement ça n’est que la nuit qu’on réfléchit de manière réaliste aux choses de la vie. La nuit, on cherche la lucidité. On y voit le monde comme une réflexion de nous-même. Et rares sont les gens qui sont eux-mêmes le jour. Le jour nous sauve de notre imaginaire, de nous-même, tandis que la nuit est le moment où l’on se rencontre soi-même. 

Mais au fil des décennies, l’apparition croissante de lumières nocturnes, absolument partout où l’on peut marcher, montre de notre monde un désir sévère d’abolir toute difficulté et de faire du confort le critère premier de ces aménagements urbains – après la sécurité. Mais tout éclairer de manière normative et standardisée offre à la vue une perception unique, uniforme et fonctionnaliste. Avant on fermait les volets en bois de notre maison pour se protéger du soleil, aujourd’hui on ferme ses volets pour se protéger de la lumière de la nuit et retrouver une nuit noire. En allant plus loin, on peut aussi ressentir que l’éclairage public discipline le corps et l’existence, qu’il est lié à un système, pas seulement sécuritaire, mais lié au pouvoir qui tente de réguler les souffrances des gens. Notre posture est de sortir, dès que possible, des démarches normatives et fonctionnalistes. Sortir de la facilité d’un paysage nocturne répétitif et confortable.  

En plus de ces aspects, nous nous astreignons à ne pas nous contenter d’appliquer des réflexes fonctionnels, mais nous pensons aussi à ces zones d’ombres qui laissent la place à l’imagination et à la surprise. Parler de la nuit a selon nous une dimension esthétique.  

A la lueur d’une lumière, proche de l’intensité de la lune, on ne voit plus les couleurs, on voit des formes, puis on voit de moins en moins bien ces formes et on imagine. Ce n’est pas pour autant que la lumière est notre ennemie. Au contraire, nous l’apprivoisons et nous en faisons un usage minimum pour retrouver la poésie d’une ombre ou la surprise d’une lueur colorée. La poésie peut prendre alors une multitude de formes, d’expressions et procurer une infinité de sensations.  

Eugène Deslaw dans Les nuits électriques, cette étonnante œuvre visuelle de 1928, nous offre un émerveillement ultra zoomé en surimpressions de noirs et blancs des nuits urbaines électrifiées, des enseignes lumineuses frémissantes. Aujourd’hui on parle de pollution lumineuse, Deslaw y voit de la poésie. Ce sont les nuits de Deslaw.  

Il y a un point d’équilibre à trouver entre les nuits électriques, la lueur de la lune et l’aube. Nous avons une réelle responsabilité : il ne faut pas supprimer la nuit, ni les nuits. Elles nous rattachent aussi à ce qu’il reste d’animal chez nous, êtres humains. Être un vivant c’est déjà être émotionnellement rattaché à un environnement et capable de se réinventer biologiquement. Chaque lever de soleil constitue déjà la manière la plus élémentaire de se réinventer. Pourtant, selon la nuit qu’on a passée, l’apparition du jour peut apparaître comme un événement exceptionnel. 

Il ne faut pas considérer la lampe électrique comme un simple produit de l’homme, mais comme un point d’articulation entre l’homme et son environnement naturel de la manière la plus subtile et délicate possible. Pour savoir où nous allons, privilégions l’observation de la nuit, la culture de la nuit ainsi que ses sous-cultures au sens premier du terme, plutôt que de se focaliser sur la technologie. La nuit a beaucoup à apprendre au jour.  

Ce récit de la nuit est en partie issu du THINK TANK DE LA NUIT, dont la première édition s’est tenue le 17 juin 2021 à Vincennes. Organisé par F.Maman /BOA, avec la participation de l’architecte Philippe Stanfield Pinel, co-fondateur de Boa Light Studio, qui interviendra aussi  à la Nuit des Idées de Chicago le 12 mai 2022. 

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